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La Charité, c’est le Meurtre !


Rue Fessart, en haut de Belleville, y a un cochon d’asile où sont reçues à bras ouverts les pauvres bougresses dans la débine.

Très probablement, les bons bougres, vous avez reluqué à diverses reprises dans les quotidiens, des tartines pommadeuses au sujet de cet asile.

C’était du chiquet, nom de dieu !

Je vas vous le prouver : sachez d’abord que, sur les deux cents pauvres bougresses qui y sont habituellement réfugiées, y en a bien cent cinquante qui ont un polichinelle dans le tiroir.

Les pauvres travaillent à la repopulation de la France, — mais comme les grosses légumes s’en foutent, les malheureuses enceintrées n’en sont que d’avantage mistouflières.

Alors, ne sachant comment se tirer d’affaire, elles font un plongeon dans le bagne de la rue Fessart.

Ah, mille dieux, quel bagne et quelle misère !

Les réfugiées travaillent depuis sept heures et demie du matin jusqu’à six heures du soir, — et il ne faut foutre pas qu’elles musardent !

En retour, l’administrance de l’asile leur aboule, — en guise de salaire, — quatre sous par jour.

Parfaitement, quatre sous !

Et ces quatre pétards, on se borne à les leur faire voir…, les pauvres frangines ne les touchent qu’à leur sortie.

Seules les piqueuses à la machine sont un tantinet privilégiées : elles gagnent six sous par jour.

Or, les bons fieux, n’allez pas supposer que les pauvrettes gagnent leur maigre journée à se rouler les pouces.

Fichtre non ! Elles confectionnent de la lingerie pour les magasins de nouveautés, — et l’administrance de l’asile sait se faire casquer.

Turellement, les réfugiées sont nourries, — mais comment !… Elles bouffent des patates et des fayots, des fayots et des patates…, et c’est à peu près tout. Si seulement c’était cuisiné potablement. Ah ouat ! On leur sert des ratatouilles à faire refouler et vomir un cochon !

À chaque repas les malheureuses devraient recevoir un verre de vin, — on leur en aboule juste un demi-verre. Quant au bricheton, elles en ont à peine pour se caler une dent creuse : deux cents grammes par jour !

La semaine dernière quatre bonnes bougresses sont tombées malades ; leurs copines ont attribué ça au manque de nourriture. Les vétérinaires, eux, ont été d’un avis contraire : après un mûr examen, ils ont décidé que les quatre malheureuses sont malades d’avoir liché trop d’eau.

C’est jamais le sirop de grenouille qui vous foutra à cul, vous autres, sales bougres de médicastres, — mais ça pourrait bien être les pernods !

Afin que d’autres réfugiées ne se soûlent pas d’eau claire, on a fermé les robinets, — et maintenant, par la chaleur de ces jours-ci, les pauvrettes crèvent de soif !

Hein, non d’un foutre, c’est le cas de le seriner : La charité, c’est le meurtre !

Le conseiller cipal du quartier, — Grébauval, qui a troqué sa cocarde boulangeuse pour celle de socialo révisionnard, — perche à deux pas de ce maudit asile.

Et il ne pipe pas mot ! Pourtant, à moins qu’il ait les quinquets farcis de feinte de richard, il ne doit pas ignorer de quoi il retourne.

Il est vrai, c’est pas son affaire !

Le métier de conseiller cipal consiste à gaspiller le plus bêtement et le plus vivement possible le pognon soutiré au populo, — et non à rouspéter contre les monstruosités sociales.


Aux « Plus Vastes »

Les Plus Vastes, c’est les magasins du Louvre.

Et foutre, si vastes qu’ils soient, ils ne sont jamais aussi vastes que la crapulerie des patrons de la boîte.

Reluquez leur dernière, — dont les quotidiens n’ont pas jaspiné, afin de ne pas perdre le pognon que rapportent les annonces.

Les quotidiens, — quelle que soit leur opinion, — sont attachés avec des saucisses à la Banque de France, à Rothschild, aux magasins de nouveautés, etc.

Et ils ne jacassent que si l’un ou l’autre des financeurs n’y voit pas d’inconvénient. Donc comme les singes du Louvre n’aiment pas le bruit, les quotidiens ont fermé leurs pissotières.

Y avait pourtant de quoi gueuler, cré pétard !

Ces jours derniers, une vendeuse des Plus Vastes fut chippée à barboter. Or, pour détourner l’attention de son fricotage, elle dénonça une kyrielle de vendeuses qu’elle accusa de complicité.

Alors, sans plus de magnes, les patrons du Louvre expédièrent des bandes de roussins à eux perquisitionner chez toutes les complices supposées ; dans leurs piôles, tout fut fichu sens dessus dessous !

Et les pauvrettes qui, sous des dehors un tantinet élégants, cachaient leur dèche noire, ont dû faire taire leurs susceptibilités et subir l’affront du perquisitionnement, — sinon on les aurait fichues à la porte,… et peut-être au bloc !

Les policiers du Louvre firent chou-blanc sur toute la ligne !

Mais foutre, la question n’est pas là : ce qui est abominable, c’est que, grâce à la puissance de leurs millions, plus rien n’arrête les richards.

Que devient la liberté — celle que garantit le Code — pour les patrons du Louvre ?

Ils entretiennent à leurs frais une police privée qui arrête et perquisitionne à son gré.

Nous voilà revenus en plein au régime féodal ; les capitalos s’arrogent le droit de justice… Encore un peu et, dans un coin de leurs bagnes, ils creuseront oubliettes et cachots.

Dame, pourquoi se gêneraient-ils ?

Ils n’ont pas à craindre que la gouvernance entrave leurs projets ; elle les laissera opérer à leur guise, — car elle fait partie de leur valetaille.

Seul, le populo peut mettre le holà aux exactions des modernes féodaux.

Quand donc se décidera-t-il à foutre les pieds dans le plat ?