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Ça c’était dans les premiers temps, quand on venait d’envahir le pays ; — c’est changé maintenant, mille bombes, tout est pacifié et les Français se montrent doux comme des chiens enragés.

Pour preuve, que je vous raconte l’exécution du Doi Van, un chef de pirates, qui avait fait sa soumission à la France, puis avait repris les armes contre sa patrie, à la tête de troupes rebelles.

Pas besoin de vous expliquer ce baragouin, vous avez compris, pas les aminches ? Les pirates, les rebelles, c’est des bons bougres qui ne veulent pas que les Français viennent dans leur pays s’installer comme des crapules ; c’est pas eux qui ont commencé les méchancetés, ils ne font que rendre les coups qu’on leur a foutus.

Donc, Doi Van a été repincé et on a décidé illico de lui couper le cou. Seulement au lieu de faire ça d’un coup, les rosses de chefs ont fait traîner les choses en longueur. Nom de dieu, c’était horrible ! Ils ont joué avec Doi Van comme un chat avec une souris[1].

Une fois condamné à mort on lui fout le carcan au cou, puis on l’enferme dans une grande cage en bois, il ne pouvait se remuer. Sur la cage on colle comme inscription :

Vuon-Vang-Yan, traître et parjure. Après quoi, huit soldats prennent la cage et la baladent dans les rues d’Hanoï. À l’endroit le plus en vue on avait construit une plate-forme ; c’est là qu’on a coupé le cou à Doi Van avec un sabre, — après avoir fait toutes sortes de simagrées dégoûtantes.

L’aide du bourreau tire Doi Van par les cheveux, le sabre tombe comme un éclair, la tête lui reste dans les mains, il la montre à la foule et la fait rouler par terre. On la ramasse car elle doit être exposée au bout d’un piquet, afin de servir d’exemple aux rebelles.

Ah, nom de dieu, c’est du propre ! Sales républicains de pacotille, infâmes richards, journaleux putassiers, vous tous qui rongez le populo plus que la vermine et l’abrutissez avec vos mensonges, venez donc encore nous débiter vos ritournelles sur votre esprit d’humanité ?

Vous avez organisé bougrement de fêtes pour le centenaire de 89 — la plus chouette, celle qui caractérise le mieux votre crapulerie, c’est l’exécution du Doi Van. C’est pas sur un piquet, au fin fond de l’Asie, dans un village tonkinois, qu’elle aurait dû être plantée, cette tête.

  1. Pendant la guerre de 70, Thibaudin qui était officier a fait le même coup. Fait prisonnier par les Allemands il leur promet pour rester libre, de ne pas servir de toute la guerre. Il déguerpit et s’engage illico sous un faux nom dans l’armée française. Sacrés trous du cul d’opportunards est la différence entre Doi Van et Thibaudin ? — Je vous la donne : Si Thibaudin eut été repincé, les Allemands l’auraient fusillé carrément, mais ils n’auraient pas fait toutes horreurs que vous avez fait avec Doi Van.