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LA MONTAGNE D’HIVER

fait que jouer avec ses talents. Les années ne lui avaient enseigné ni la valeur du temps, ni son prix. Maintenant, elle constatait qu’elle avait dépassé le moment du bonheur et des illusions et sans le choc qu’elle venait de subir, elle aurait continué de poursuivre, agitée et sans repos, tout ce qu’elle croyait nécessaire à sa joie. Mais ce monde de plus en plus instable, et de plus en plus encombré de vaines obligations, ce monde d’amitiés fantômes qui se nouent au-dessus d’un coquetel et se dénouent le verre vidé, lui échappait, semblait-il. Maryse avait confié à Louise qu’entre l’heure angoissée du véritable réveil et le sommeil solide qui comme une glace commence à craquer, elle faisait constamment le même cauchemar. Elle courait dans une rue sans fin, noire de gens, de voitures, d’inconnus, et elle cherchait quelqu’un…

— Quelqu’un, avait-elle dit en riant de son rire sonore et moqueur, quelqu’un, vous pensez bien, qui serait ensuite à jamais auprès de moi, à m’aimer, à m’aduler, à me soutenir, à me redonner l’ancienne joie de mes matins envolés…

Elle rêvait qu’elle passait haletante, dédaignant un bras tendu pour un autre qui se dérobait aussitôt. Elle apercevait des visages amis, elle les négligeait parce qu’elle en poursuivait un qui lui paraissait plus important. Lorsqu’enfin, après un nouvel et pénible effort, elle parvenait à l’approcher, il s’obstinait à ne pas la voir. Elle croyait enfin réussir à attirer un regard, et celui-ci se voilait, se vidait comme les yeux des statues vues de proche, ou il se détournait franchement. Son cœur se serrait, elle souffrait terriblement, puis elle reprenait sa course éperdue, ne rejoignait toujours personne, mais Dieu merci ! elle s’éveillait. Sa chambre était là, agréable, le soleil baignait ses beaux meubles pâles, l’élégance de ce coin bien à elle, c’était le salut, enfin !