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LA MONTAGNE D’HIVER

— Vous ! Ce sera nouveau !

— Et parfois très drôle. Car mon opposition stimulera l’esprit de Maryse. Pourtant, tout cela me déprime. Je prends tout trop à cœur, et inutile de te cacher que j’aimerais changer sa façon d’agir, quand je constate le gâchis qu’elle fait de ses beaux dons. Elle est droite, franche. Le gâchis, c’est son inutilité. Elle devrait être quelqu’un. Elle n’est qu’une femme distinguée, très chic, qui fréquente ce que nous avons de mieux comme société. Elle écrit avec une perfection rare. Chacune de ses lettres est un petit chef-d’œuvre. Ses goûts intellectuels, indéniables, demeurent sans objet ; elle n’a de temps que pour les mondanités, n’a de souci que pour perfectionner ses toilettes. Aucun patriotisme ne la stimule. C’est même un phénomène d’en être à ce point dénuée. Souverainement individualiste, elle n’a pas l’impression d’appartenir à une communauté. Si je lui parlais de l’obligation où nous sommes d’apporter notre contribution à l’ensemble, elle me rirait au nez. Il faut dire qu’elle me rit au nez à la journée ! Je l’ai connue toute petite. Je suis sûre, qu’elle aurait pu se signaler autrement que par la connaissance presque parfaite qu’elle a du français et de l’anglais, et autrement que comme secrétaire compétente d’une grande maison. Quand elle se décide à étudier, à résumer un livre, son travail est complet ; tous les aspects en sont analysés, et dans un style qui me ravit. Tout y est : originalité de la pensée, harmonie de la phrase, exactitude des comparaisons, et aussi des observations d’une rare finesse. Pourtant, quand tu interroges les gens qui la fréquentent sans bien la connaître, ils disent : « Elle est intelligente, mais quelle légèreté ! » Ce qui me fait rager.

— Pourquoi s’applique-t-elle à donner d’elle une si fausse impression ! Avec ses qualités, son instruction, son cœur si fidèle, et cette tendresse qu’elle cache, car Maryse