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LA MONTAGNE D’HIVER

et des vingt-cinq mille dollars de bœufs qu’il vendait en un clin d’œil. Je crois qu’il se vante un tout petit peu… Mais sortons vite de table si tu veux avoir le temps de faire du ski. Et puis, le Colonel n’aura plus rien à t’apprendre si j’en dis trop long…


Devenue familière avec les alentours, Madeleine aimait maintenant à glisser seule, savourant l’air, le soleil, la beauté du paysage poudré d’étincelles. Pas un seul jour ce paysage n’était tout à fait le même. Avec les jeux de l’heure, de la lumière, ou de la brume, la coloration des montagnes variait sans cesse. Les flancs boisés ceinturaient les côtes de ski, découpées avec fantaisie dans l’étoffe noire des forêts qui avaient autrefois entièrement recouvert toutes ces surfaces. De loin, ces côtes formaient des dessins étranges. Leur blancheur était interrompue par de petits groupes de sapins, par des broussailles ; par les lignes obliques des remonte-pentes, et cette blancheur coulait, semblait-il, dans les pistes qui s’échappaient en tous sens pour traverser les bois. Les mêmes sommets se couvraient parfois d’un voile bleuté, ou bien, d’un inexplicable violet. « Ce violet, disait le boulanger, annonce un dégel »…

Chaussant ses skis devant la maison, Madeleine, qui avait pourtant cru ne plus jamais goûter la joie de vivre, se retrouvait en plein enchantement. Quand elle se laissait descendre d’une colline où personne encore n’était passé, toute peine, tout regret cessaient d’exister. Seule importait la parallèle ferme et droite qu’elle traçait sur la neige. Une magie s’exhalait de la gerbe de poudre blanche qui naissait à la pointe des skis pendant sa course rapide. Il fallait être soi-même skieur pour comprendre ce bonheur léger et doux qui comblait alors la jeune femme. Le passé, l’avenir perdaient leur valeur et leur importance. Rien ne