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LA MONTAGNE D’HIVER

midi, pour une visite, le soir, pour la prière ! Si bien que j’ai peur d’offenser Dieu ! Il s’aperçoit sûrement que ma ferveur redouble, parce que je n’ai pas autre chose à faire ! Quand tu es arrivée, Marie n’était rentrée que depuis deux jours, j’avais été muette trois semaines. Certains jours, je n’avais parlé qu’au boulanger. Tu te rends compte pourquoi j’étais si loquace, pendant nos premières promenades ?

— Mais vous aviez votre vieux voisin ? Celui que nous sommes allées voir l’autre jour en passant.

— Le Colonel ? Oui, mais il avait des cousines en visite. Je n’y allais donc que pour peu de temps, car elles auraient pu s’imaginer que j’avais des intentions de conquête… Louise ajouta en riant : C’est un veuf, et ce que l’on pourrait appeler un bon parti. Même s’il est un peu vieux !… Il a soixante et quinze ans !

— Tant que ça !

— Oui. Alors, toi, tu es assez jeune pour ne pas te gêner. Quand tu t’ennuieras, va le voir. Tu lui feras plaisir. Et il est intéressant. Moi, naturellement, il m’intéresse un peu moins. J’ai entendu toutes ses histoires. Il a toujours été riche. Il est ingénieur. Il a fait de grandes choses en son temps, à Montréal. Il a voyagé partout depuis, et Dieu sait quelles aventures il a eues. Il ne me les raconte pas toutes. Il était beau. Sa figure est encore fraîche et rose, sa prestance, toujours magnifique. Il a été de la guerre de 14, et sur ce sujet, il est intarissable. Il a fait ses études classiques en Angleterre. Il faut l’entendre raconter ses impressions quand, à douze ans, son père le mit sur un paquebot de la ligne Allan, pour sa première année à Londres, chez les Jésuites.

— Mais pourquoi, cette bizarre idée ? Nous avons assez de collèges !