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LA MONTAGNE D’HIVER

vieille fille qui n’avait jamais été ni belle, ni vraiment heureuse. Elle vivait dans la solitude, elle était obligée de gagner et d’administrer toute seule sa vie.

Par les amis qui les avaient rapprochées, Madeleine avait appris que l’adolescence de Louise Janson s’était écoulée dans le dévouement et les épreuves. Sa mère avait été alitée une dizaine d’années. Au moment où Louise aurait pu profiter de sa jeunesse, elle avait dû la sacrifier pour s’occuper et de la maison, et de l’éducation d’un frère et d’une sœur encore enfants. À ces soucis s’étaient ajoutées les peines que lui causaient les souffrances de sa mère ; et des inquiétudes, parce que trop d’argent passait en soins médicaux, en salaires d’infirmières, en séjours à l’hôpital.

Louise était alors devenue la compagne attitrée de son père, ce qui n’était pas pour la rajeunir. Avec lui, elle porta le fardeau des obligations et des tracas. Elle lui ressemblait beaucoup, disait-on. Ils avaient la même finesse, le même esprit d’observation, le même humour et le même courage, qu’ils dissimulaient sous leurs airs moqueurs. Ils tinrent le coup sans jamais un murmure de lassitude. La mère morte, le fils aîné, marié depuis longtemps, perdit tragiquement sa femme. Deux orphelins échouèrent à la maison paternelle. Plus tard, quand Louise se fut attachée à eux, le frère se remaria et les reprit.

C’était déjà à une époque où pareil dévouement passait pour de la folie. Madeleine avait souvent entendu répéter que Louise avait exagéré ; elle avait manqué son avenir par sa faute, elle récoltait maintenant ce qu’elle avait semé. Les frères et sœurs dispersés, le père décédé, elle demeurait seule, presque sans fortune. Elle avait entamé la cinquantaine. Madeleine était convaincue qu’à cet âge, il n’y avait plus rien à espérer. Le beau temps était achevé. Louise n’avait pas eu de beau temps. Pourquoi était-elle