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LA MONTAGNE D’HIVER

ment la nostalgie de son foyer à elle, — qu’elle avait cru à la fin détester, — la nostalgie du lien qui ne l’attachait plus, la nostalgie du connu, de la certitude, de Jean et des peines qu’il lui causait, de Jean dont elle avait le perpétuel souci, pour lequel elle préparait des repas, raccommodait du linge, de Jean qui avait besoin d’elle quand même il la rabrouait. Cette impression, de ne plus appartenir à personne, de ne plus être nécessaire, la déchira. Elle se mit à pleurer.

Secouée par le train cahotant, accablée par son intense lassitude, sa faiblesse, la figure tournée vers la fenêtre, elle n’essuyait même pas ses joues. À travers ses larmes, elle ne voyait plus rien, ne se souciait plus de rien. Aucune fierté ne la soutenait plus.

Jusqu’à la ville de Saint-Jérôme, la nature continua à se montrer revêche, pauvre, décolorée. Un peu après, sous un ciel d’un bleu pur et sans nuage, la neige apparut. Attirée par la lumière qui pénétrait soudain dans le wagon, Madeleine ouvrit les yeux. Des montagnes couvertes d’un blanc étincelant bornaient l’horizon. À travers la buée qui brouillait encore sa vue, elle aperçut leur magnificence, leurs formes diverses, les dessins nets des petits sapins qui les escaladaient, la clarté extraordinaire du pays, et surprise, elle fut assaillie d’une onde de joie. Comment avait-elle pu s’effrayer de s’en aller vivre dans un paysage aussi merveilleux ? et d’être libre d’y rester indéfiniment ? Tant d’êtres souhaitaient en vain pareil bonheur.

Le train avançait dans une luminosité de plus en plus grande. Son mouvement ralenti par les courbes sans fin, permettait d’admirer mieux. La locomotive semblait s’amuser à tourner, à revenir sur ses traces, suivant les méandres de la Rivière du Nord qui coulait, luisante et sombre à côté de la voie. Ses berges étaient décorées de mélèzes, de