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LA MONTAGNE D’HIVER

à cœur, c’est le siècle, le luxe, la mode, la course aux plaisirs du monde. Qu’ils soient fugaces et impossibles à saisir, que son effort n’aboutisse qu’à un vain remplissage du tonneau des Danaïdes, elle n’a jamais l’air de le constater. Louise, au contraire, aime tout, mais d’une autre façon. Comme une religieuse, elle a appris que l’apaisement parfait, permanent, de notre soif de joie, ne viendra que le jour « où l’exil s’achèvera dans la gloire. »

— Par quel éclat de rire Maryse accueillerait cette réflexion, si je la faisais à haute voix devant elle ! « Laissez-moi tranquille avec votre exil et votre gloire », dirait-elle. Et Madeleine souriait malgré elle, tellement ce rire de Maryse était contagieux.

Où suis-je entre ces deux femmes ? se demande-t-elle encore, faisant glisser doucement ses skis, dans le paysage blanc. Où suis-je ? Je n’aime pas le monde, mais j’étais à l’automne plus près de Maryse que de Louise. Maintenant, je penche plus vers mon hôtesse. Je crois que l’on est plus heureux en dehors du moi égoïste. J’ai été parmi les tièdes. Quand j’ai souffert, au lieu de compatir à la souffrance de Jean, c’est dans l’irritation que je me complaisais. J’aurais pu adoucir notre existence commune, me sanctifier. Me sanctifier ! Encore un mot qui ferait pouffer de rire notre Maryse.

— Trois femmes sans hommes, dans une galère ! se dit finalement Madeleine.

Songeant subitement que la saison de ski touche à sa fin, elle cesse de rêver et se met avec ardeur à monter et à descendre La Solitaire. Elle maîtrise tous les virages. C’est une joie, à en oublier tout le reste, même les corneilles qui voyagent en croassant d’une montagne à l’autre.