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LA MONTAGNE D’HIVER

et lui aussi se plaignait : « Mes paroles glissent sur vous comme l’eau sur le dos d’un canard… »

— Ah ! tu te donnes la peine d’aller consulter un Père ? Ton cas n’est donc pas absolument sans espoir…

— Je vais même voir régulièrement une religieuse qui s’appelle Sœur Candide-de-Jésus. Celle-là, ce n’est pas pour des raisons théologiques. C’est parce qu’elle est ravissante. Et puis, elle m’aime, me trouve fine, et cela me flatte. Je l’amuse. L’autre jour, quand je suis allée lui dire au revoir, avant de venir ici, je l’ai tellement amusée, qu’elle s’en tenait les côtes et me suppliait de cesser. Et pendant qu’elle riait, tout à coup, je me suis mise à pleurer. Ah ! si vous saviez comme je m’ennuie ! La compagnie d’un ange gardien ne me suffit pas, il me faut quelque chose en chair et en os ! Et quand je serai retournée à la solitude de ma chambre, le souvenir de Charles va recommencer à m’obséder de nouveau et je passerai des jours à composer pour lui des brouillons de lettres… Des brouillons de lettres qui ne trouveront jamais la forme finale, mais il me plaît de converser par écrit avec mon ancien amoureux…

— Ah ! reprenait-elle, je ne sais pas si Marcel Proust a parfois pensé aussi intensément à son Albertine disparue, que moi à mon Charles ! J’en suis saturée. Mais il n’est plus jamais auprès de moi et je me retrouve toujours côte à côte avec ma misère. Chez nous, je recommencerai à m’ennuyer et j’accepterai des invitations et des invitations, même celles qui m’embêteront. J’irai à des dîners splendides, précédés d’apéritifs, accompagnés de vins, et dans le tralala des argenteries, du verre coupé, des toiles brodées. Et tout cet étalage, souvent, uniquement pour quatre vieilles filles dont je serai ! Non, c’est, trop navrant. Ah !