Page:Le Normand - La Montagne d'hiver, 1961.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA MONTAGNE D’HIVER

Elle, en butte à ses cruautés, même si elle les savait involontaires, ne s’était plus souvenue de leurs bons moments, de leur entente, de leur affinité. Elle avait méconnu ce qui les unissait pour s’appesantir sur ses déceptions, ses rancœurs, l’injustice de tant de paroles, de tant de moments d’humeur inexpliqués et inexplicables, dont son mari chaque fois paraissait lui attribuer la responsabilité.

Madeleine s’était révoltée. Elle n’avait pas accepté le rôle de bouc émissaire.

Aujourd’hui, elle se reprochait de n’avoir pas su aimer son mari par-dessus tout. D’autres pardonnent toutes les offenses. Était-elle donc incapable d’une pareille générosité ?

Lorsque Jean revenait à elle, il semblait avoir tout oublié de ses fougueuses scènes. Il n’exprimait aucun regret. Il changeait simplement d’humeur. Avait-il donc l’impression que son retour à la normale abolissait tout ?

Pas pour sa femme. Les accusations, les griefs en elle s’éternisaient, ineffaçables. Jamais, en quinze ans de ménage, Jean ne s’était excusé. Depuis sa mort, Madeleine y réfléchissait et elle saisissait enfin que tout cela avait tenu à cette incapacité de parler à cœur ouvert, qui caractérisait son mari.

Pendant que Jean vivait, elle n’avait pas compris cette disposition d’esprit incurable. Elle ne pouvait que simuler l’oubli. Qu’après ses violentes crises Jean n’exprimât chaque fois le retour de sa tendresse qu’en reprenant ses droits sur elle, la bouleversait. Il la trouvait pourtant soumise, tendre, si désireuse de faire la paix, de posséder la paix, qu’elle manifestait sincèrement une sorte de joie. Mais au fond de son âme, l’amertume, la tristesse, l’indignation subsistaient, latentes. Pour la jeune femme, l’amour