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LA MONTAGNE D’HIVER

Tous devaient cependant, en secret, la plaindre de sa solitude.

Le plus terrible, ce n’était pas de se sentir seule, ce n’était pas l’incertitude du lendemain, c’était d’avoir les mains vides. Elle s’imaginait que jamais personne n’aurait plus besoin d’elle ; désormais, sa place ne serait nulle part. Dans cet état d’esprit, la jeune femme n’avait pris qu’une décision : elle quitterait son appartement imprégné de trop de souffrances, de trop de déceptions, à cause de Jean. Elle l’avait tant aimé, mais ne l’avait-elle pas épousé sans le connaître ? Ces lettres écrites et reçues dans une exaltation trompeuse, pouvaient-elles exprimer la froide réalité ?


Jeune médecin, Jean Beaulieu faisait un stage dans un hôpital de Boston, quand au cours d’un séjour à Montréal, il avait rencontré Madeleine. Tout de suite, il s’en était épris. Il souffrit trop d’être loin d’elle, il ne fut pas tout à fait lui-même, dans la correspondance enflammée qu’il lui adressa. Il remplissait ses lettres d’une tendresse si émue, de confidences si intimes ! Madeleine s’engagea à fond dans le rêve. Elle n’avait pas vingt ans. Jean glissait des vérités dans ces pages brûlantes. Elle ne prêtait pas attention aux menaces qu’elles comportaient. S’il avouait : « Vous ne me connaissez pas. Je vous aime mais j’ai peur de vous décevoir, je suis un sauvage, j’ai mauvais caractère. Je boude. Je suis des heures sans pouvoir parler… », elle riait, elle s’amusait de ces révélations. Cela ne pouvait rien changer. Il l’aimait comme personne ne l’avait aimée. L’amour, c’était ce qui importait. « L’amour rend léger ce qui est pesant ».

L’amour n’avait pas rendu léger ce qui était pesant !

Mais Madeleine ne désirait ni ressasser le passé, ni envisager l’avenir. Il ne fallait pas poursuivre Jean de