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AUX PHLOX
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Aussi, pendant que continuait maintenant ce disque de Saint-Saëns, à mesure que pour moi son chant remontait du passé, ce que je revoyais le mieux de la vaste pièce où autrefois je l’entendais, c’était le grand tapis de Bruxelles bien bleu et la couleur de ses bouquets.

Mais bientôt le disque fut terminé, les lumières rallumées et tous recommencèrent à parler.

Je ne disais plus grand’chose. Le passé avait surgi trop vivant. Il ne me quittait plus. Les longs rideaux du salon disparu battaient devant mes yeux. Je revoyais ma cousine et son violon, et le mouvement de sa tête, et cet air toujours lointain qu’elle avait quand elle jouait. Elle était mince, gracile et blonde, et seule auprès du long piano à queue et seule aussi en elle-même.

Le salon était pourtant un salon heureux et gai. La maison était une maison remplie d’enfants, et la maison du bon Dieu, car jamais nous n’étions trop nombreux autour de la table hospitalière et si joyeuse. Tout cela était-ce le bonheur ?

La violoniste jouait si bien. Elle nous emportait si loin de cette réalité qu’elle méprisait.

Depuis, la réalité s’est vengée de ce mépris, l’amour aussi, ils ont repris leurs droits. Mais rien ne peut effacer le souvenir de ces heures, rien ne peut l’abolir.