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AUX PHLOX
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Gabrielle ne revenait pas de sa surprise. Elle n’était plus la jeune fille romanesque d’autrefois, elle comprenait fort bien qu’un fiancé inconsolable puisse se marier un jour. Mais elle s’amusait au souvenir du beau jeune homme qu’elle avait inventé de toutes pièces : grand, brun, poète, les yeux noirs, les joues bronzées, la moustache irrésistible ! tandis qu’elle trouvait un monsieur chauve, râpé, mité, les yeux pochés, sans moustache, la bouche laide et l’air de s’ennuyer et d’ennuyer les autres ! Et s’il était encore poète, il ne chantait plus à personne ses chansons, sûrement, avec une tête pareille.

Alors, Gabrielle loua les desseins mystérieux de la Providence :

— La belle petite fiancée a bien fait de mourir…

Mais il est vrai, pensa-t-elle ensuite, qu’elle serait aujourd’hui, comme moi sans doute, un peu popote, un peu boulotte… Ah ! la vie, ce qu’elle dépoétise !