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AUX PHLOX
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s’était décidée à entrer dans une pharmacie et à demander un produit recommandé dans un courrier féminin. Le produit se vendait un dollar. Elle n’avait que cinquante sous. Sur la petite boîte, elle eut le temps de lire en toutes lettres : « Pour faire pousser cils et sourcils ». Impossible de faire croire au commis qu’elle avait demandé un remède pour son grand-père ou pour son frère. Rougissante, penaude, elle marmotta n’importe quoi et sortit précipitamment. Longtemps ensuite, elle ne retourna plus à cette pharmacie. Et aujourd’hui, tout ce que l’on achète sans rougir, sans blêmir…

Monique se lève, s’approche des iris, plonge sa figure dans leur calice au parfum sucré. En même temps, dans la glace elle s’aperçoit. Mais se voit-elle réellement ? telle qu’elle est ? Pourquoi voit-on les iris tels qu’ils sont, et pourquoi ne voit-on pas sa propre figure avec la même lucidité ? Monique est maigre, mais elle sait qu’elle ne se trouve pas aussi maigre qu’on le dit. Elle vieillit et elle est sûre de ne pas savoir jusqu’à quel point elle a vieilli. C’est si imperceptiblement qu’un visage change. Sera-t-elle exactement comme sa mère, un jour ? Parfois ses cousines lui disent :

— C’est extraordinaire, Monique, comme tu te mets à ressembler à ma tante.