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jane

— C’est pas ma faute, pas ma faute, sûr, sûr, j’lai pas fait exprès.

— Il ne manquerait plus que ça ! lui répondait-on.

Elle ne comprenait pas l’ironie, et les pots cassés restaient cassés, sûrement ; mais cette enfant-là pouvait-elle être tenue responsable de sa sottise et de sa maladresse ?

Elle faisait trop pitié. On la gardait.

Jane faisait pitié depuis longtemps, depuis sa naissance. D’où sortait-elle ? Qui l’avait aimée ? On savait qu’elle était baptisée, mais jamais il n’avait été question d’un père pour elle. Elle avait une mère, mais une mère « qui ne pouvait pas m’avoir soin, assura bientôt Jane, parce qu’elle était obligée d’aller travailler ».

Par des choses que dans son innocence, Jane peu à peu raconta, il fut permis de croire que la mère était aussi obligée de boire ! Il y avait un frère, un oncle, et peut-être une sœur dans son histoire de famille, là-bas, en Irlande ; mais, dans tout cela, Jane n’avait rien non plus tiré au clair. Tout demeurait dans une obscurité complète, et peu de signes sensibles de l’existence de toute cette parenté traversaient l’Atlantique. Pourtant, Jane avait tant de cœur qu’elle pensait, avec affection et indulgence, aux siens qui l’avaient exilée. Elle écrivait à sa mère fidèlement tous les mois. Une fois par année, à peu près, elle recevait un mot qui n’éclairait pas grand’chose. Jane devenait de plus en plus l’inconnue, mais c’était une inconnue fidèle qui ne se laissait pas oublier. Elle continuait à écrire, sans se lasser et sans