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enthousiasme

Mais on la gardait quand même dans la maison où elle était arrivée à treize ans, les yeux tout mouillés comme un petit chat qu’on aurait sauvé de la noyade… Elle était venue au Canada avec un de ces groupes de petites filles abandonnées que les vieux pays envoyaient alors au nôtre, par centaines, chaque année.

Des religieuses recevaient les émigrantes et se chargeaient de leur trouver un gîte. Vous pouviez les retenir d’avance, paraît-il. Il suffisait que vous vous engagiez à bien les traiter, à les élever, à les vêtir, à veiller sur elles, et à leur mettre chaque mois à la banque une somme fort modique, qu’elles ne pourraient toucher que parvenues à l’âge de vingt et un an. À vingt et un an, elles redevenaient libres de rester où elles étaient, ou de s’en aller ailleurs, avec l’expérience ainsi acquise.

Quand arrivait la petite que vous aviez retenue, on vous demandait de venir vous-même la chercher. Vous conserviez le droit de la ramener au couvent, si elle se révélait impossible à dresser. En vérité Jane était une de ces impossibles ! Mais on la gardait quand même ; sa compatissante et patiente patronne se disait :

— Elle fait trop pitié. Ailleurs, elle serait battue.

Et elle patientait. Jane, en reconnaissance, sans doute, lui manifestait un attachement passionné, et en maintes circonstances, son bon cœur suppléait à son intelligence. Et puis, elle pleurait pour exprimer ses regrets. Très vite, elle avait su dire :