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enthousiasme

Le bonheur éveilla Anne-Marie. Une si grande joie l’inondait maintenant, qu’elle ne pouvait plus se rendormir. Elle avait hâte de continuer sa route, la vie de ses dix enfants rechargée sur ses frêles épaules.

Et plus jamais ensuite, elle ne reperdit courage. Elle pleurait encore dans son lit. Cela soulageait et faisait du bien. Mais elle portait dans son cœur sa consolation. Et ces enfants-là, elle les aimait tellement et ils lui rendaient si bien sa tendresse. Ils avaient leur caractère, ils pouvaient être parfois indisciplinés, mais ils ne résistaient jamais à une parole d’Anne-Marie.

Anne-Marie possédait aussi au fond de son âme des ressources qui la dédommageaient de ses peines, enrichissaient sa vie. Son intelligence avide profitait, jouissait de tout. Dieu l’avait comblée de ses dons, et tout au monde était pour elle, joie et intérêt. Dans la beauté de la nature, elle puisait aussi des trésors à pleines mains. D’autres peuvent vivre parmi de beaux paysages et ne pas y penser. Anne-Marie connaissait chaque fleur, chérissait chaque brin d’herbe, chaque arbuste, et aimait ses arbres comme des amis.

Autour de la ferme, elle avait ses coins préférés, où elle allait en cachette se reposer. Elle passait des heures dans la coulée, sous les cerisiers, à lire, en respirant l’odeur de la terre, de l’eau, des feuilles ; ces heures-là, lui laissaient des joies d’une telle splendeur, qu’ensuite, le fardeau quotidien lui semblait pour un temps bien léger.

Et puis, avec les années, l’oncle abbé devenait de plus en plus le père de tous ces enfants. Il s’y