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monseigneur était un peu vieux

Ce fut donc la foi d’Anne-Marie. Elle avait bien du chagrin, le sacrifice était sans mesure, mais dans la belle et pieuse ardeur de ses vingt ans, elle décida qu’elle devait suivre l’appel et abandonner ses dix enfants.

Car Anne-Marie, — la frêle et blonde petite Anne-Marie, — avait dix enfants, et cela depuis l’âge tendre de quatorze ans. D’abord elle en avait partagé le poids avec son père. Mais un an après la mort de sa femme, il était mort à son tour. Il n’avait pu survivre à son malheur. Anne-Marie, elle, survivait. Et depuis, les dix enfants n’étaient qu’à elle.

Ils étaient un peu aussi, en vérité, à son oncle l’abbé, qui, missionnaire, avait pu beaucoup les adopter, et faire souvent l’office de la Providence. Anne-Marie était la mère, et quelle mère sensible et dévouée. Elle s’usait à désirer porter toutes leurs misères, toutes leurs inquiétudes, leurs petites maladies, leurs petites peines ; enfin elle chargeait toute leur vie sur ses frêles épaules, et elle avançait bravement au-devant des coups, pour les recevoir la première.

Elles étaient bien frêles, cependant, les minces épaules d’Anne-Marie, mais cela ne dérangeait rien à l’immensité du cœur qui battait en elle, un vrai cœur sacré ! Et qui se voyait d’ailleurs dans ses yeux bleus.

Des yeux bleus, on dit que c’est ordinairement un peu pâle, sans éclat. Les yeux d’Anne-Marie étaient mouillés et pétillants. Il y avait au fond de ses prunelles, une petite lampe toujours allumée qui éclairait sous l’abat-jour des longs cils noirs.