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orange et bleu

L’incident me fit réfléchir, et je remarquai ensuite avec quel soin il évitait toujours tout ce qui aurait pu faire de la peine à Christiane. Christiane n’aurait pas de chagrin, Christiane ne se sentirait pas lésée. Christiane n’aurait rien de moins que ce que nous aurions…

C’est ainsi que je marchai tant de fois solitaire sur les routes qui bordaient la mer, à Guéthary et à Saint-Jean-de-Luz. Sous les beaux tamaris, face à l’Océan, je devais rêver à bien des choses que j’ai oubliées, mais sûrement je pensais que leur bonheur, leur façon de s’aimer, de se suffire, était une chose à envier, à désirer.

Tout de même, Christiane était malade ! Nous allâmes à Lourdes, et le temps d’y faire une neuvaine complète. Mais quand elle vit tant de misères physiques, tant d’infirmités sans nom, dans tout ce peuple de pèlerins, Christiane m’avoua qu’elle ne pouvait plus demander sa guérison, qu’elle se trouvait en comparaison trop heureuse, trop choyée, qu’il ne serait pas juste qu’elle eût un miracle… elle devait accepter de garder sa mauvaise santé.

Quand, en plus de la messe et d’exercices le matin, nous avions encore assisté à la procession et au salut de l’après-midi, fatigués d’avoir tant prié, et d’avoir été si émues par les « Seigneur, guérissez-nous » qui montaient de la foule souffrante, nous nous arrêtions au retour, à une pâtisserie dont la terrasse s’avançait au-dessus du Gave. Nous buvions du café, nous mangions des gâteaux, mais ces jours-là, Christiane n’était plus aussi gaie. Si son mari n’était pas là, elle était même