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mousseline

C’est lui qui me raconta cela, le lendemain, assez tôt. Je venais de le voir passer notre barrière, traînant Mousseline pour aller la mettre dans ce champ qui de tout temps lui était destiné.

Et il m’avait demandé le baquet que j’avais promis, et de l’eau pour mettre dedans.

Le malheur, peut-être, c’était qu’il fallait attacher Mousseline. D’un côté, une clôture longeait la voie ferrée ; mais du côté de la mer, rien ne cernait ce champ qu’une douce pente reliait à la plage. Libre, qu’aurait pu faire une vache aussi désespérée ? Il y avait tout à redouter, même le suicide.

Mousseline fut d’ailleurs attachée avec une corde d’une longueur démesurée ; et son baquet fut mis à l’ombre de six ou sept belles épinettes qui formaient au bout du pacage, un boqueteau charmant. Marie survint bientôt pour voir l’installation, voir si la brique de sel était au bon endroit et si Mousseline paraissait contente.

Hélas, Mousseline ne paraissait pas contente. Mousseline beuglait, se cachait la tête sous les arbres et ne prenait même pas une bouchée du beau foin haut comme un enfant.

— Elle est gênée, dis-je. Allons-nous-en !

Nous nous en allâmes, marchant en mesure, nos pas rythmés par les beuglements fidèles. Mais Marie riait. Marie ne désespérait plus. Mousseline, toute crottée qu’elle était, avait donné quatre pintes et demie de lait ce matin. Mousseline s’amendait. Et dans ce champ, on ne pouvait pas dire qu’elle ne serait pas bien !