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poilu

Mais à son retour de l’école, Pierrot fut tout de même sommé d’en faire le sacrifice.

— Oh ! maman, dit-il, les larmes aux yeux, laisse moi les garder ! Elles ne font pas de mal…

— J’veux bien croire. Mais tu fais mal à mon fromage. Et ton père a trop de misère à gagner de quoi vous nourrir, pour qu’on lui fasse en plus nourrir des souris… Et d’ailleurs, tes souris, elles vont mourir, si tu ne les lâches pas. Ce n’est pas fait pour vivre en cage. Ce ne sont pas des serins !

— Maman, oh, maman, je les aime tant… Ça fait une semaine que je les ai. Elles m’aiment aussi, regarde…

— Elles t’aimeront bien mieux, si tu leur donnes congé, mais pas dans mon hangar, s’il vous plaît. Va les lâcher quelque part, dans un champ, — et relis pour t’encourager la fable du rat de ville et du rat des champs…

Pierrot prit une journée à se faire à l’idée du sacrifice. Mais il n’osait plus piger dans le fromage. Il eut alors peur de voir ses souris mourir de faim. Il partit, nouvel Abraham, sa cage de fabrication domestique sous le bras, pour se rendre le plus loin possible…

Le bon Dieu le récompensa. Il hérita, vers le même temps, d’un voisin qui faisait le grand nettoyage de sa cave, d’une bicyclette sans pneus. Dans la ruelle, il apprit à la conduire, malgré les jantes dépouillées, …et sa joie fut si triomphale, que jamais un enfant riche et comblé n’en connut d’aussi vive. Il promenait ses petits frères et ses petites sœurs à tour de rôle. Il devenait impor-