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hobo d’occasion

Tous ces souffles du monde enrichissaient Louis.

Un nuage grossissait pourtant dans son ciel. Le contremaître était détestable. Parce que c’était un travailleur extraordinaire, la compagnie le gardait à son emploi, mais il était bourru, grognon, violent, et il insultait à plaisir un des jeunes gens de Saskatoon qu’il accusait à faux d’être d’origine juive. Les trois copains étudiants se lassèrent, quittèrent pour de bon le travail. Louis ne voulut pas en faire autant. Il tenait à son expérience, il tenait à sa vie au cœur du chemin de fer ! Mais voulant protester à sa façon, il résolut lui aussi de priver le patron pour quelque temps de ses bons services. Il avait demandé son laissez-passer pour l’Ouest.

Avec un autre contremaître, déjà il l’aurait obtenu. Celui-ci ne bougeait pas, refusant en actes, sinon en paroles. Louis décida donc de l’en punir et de prendre une semaine de repos, et sans demander de permission. Il accomplirait son projet. Il irait voir les Rocheuses.

Le samedi midi, il était prêt ; il s’était acheté un nouveau pantalon kaki, il avait son coupe-vent et, comme fortune, un chèque de trente-trois dollars et quatre dollars en espèces. Ce n’était pas le Pérou. Le prix du billet de Gull Lake à Vancouver aller et retour était de soixante et onze dollars. Il lui était donc mathématiquement impossible d’y aller en voiture de voyageurs. Il ne lui restait qu’une alternative : emprunter le train de marchandises. Voilà momentanément ce qu’il devait faire : devenir hobo.