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il n’y a pas de sot métier

Elle savait à quel point, elle aussi, en faisait trop, comme Guy. Le jeune homme, en effet, depuis que la neige s’était mise à tomber sans relâche, était tellement occupé, que non seulement il ne mangeait plus, mais il ne dormait même pas. Les clients se faisaient de plus en plus nombreux et l’échoppe, pour les satisfaire, devait s’ouvrir tôt le matin et se fermer tard le soir. Il y avait toujours des skis à cirer, des skis à vendre, des skis à louer, des bottines à ajuster, des harnais à réparer, à raccourcir, à allonger. Guy avait subitement vu son commerce passer du gagne-pain modeste et aléatoire au métier lucratif. À Montréal, ses parents, qui avaient été autrefois de riches touristes dans ce même village, se résignaient au sort de leur enfant qui, en pleine crise économique, forcé par le marasme de leurs affaires, à interrompre son cours d’étude, était allé ouvrir cette échoppe. Ils s’étaient d’abord dit : « Il ne tiendra pas, il reviendra. » C’était un caprice d’enfant gâté. Son père qui conservait ses riches relations, pouvait lui trouver mieux à faire pour édifier son avenir, sûrement. Au début, quand Guy séjournait à la ville, il parlait plus de ses exploits en skis, que de ses clients. On persista ainsi à pouvoir penser qu’il n’était pas sérieux. Mais soudain, même avant qu’une nouvelle guerre commençât d’enrichir le monde, le sport prit un essor extraordinaire, et la villégiature d’hiver devint plus considérable et plus riche que celle de l’été. De nouveaux hôtels se construisirent, et dans le village, de décembre à avril, ce fut bientôt tous les jours carnaval et vacances. Et Guy y prospéra.