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enthousiasme

quand il enjambe le dos de la montagne et laisse voir l’horizon au delà du grand fleuve et la ville plus basse, réussit toujours à éveiller son enthousiasme. Si bien qu’il faut qu’elle le dise à quelqu’un. Elle se tourne vers sa voisine et s’exclame :

— Est-ce assez beau !

Le fait est qu’il y a eu un dégel, puis la neige est tombée et s’est collée à la glace qui givrait les branches, et tous les arbres sont devenus de grands candélabres de cristal. Le ciel est au-dessus d’un bleu foncé, incroyable. Le soleil brille et dore le tout. Trouvez-moi, pense Linette, un paysage plus splendide dans un autre pays… et elle répète :

— Est-ce assez beau !

La voisine souriant encore sans répondre, elle risque :

Is it n’t grand !

Ce sont les mots qu’il fallait. La conversation s’engage.

Converser avec Linette, c’est écouter. Elle est plus qu’affable, et l’autre, celle qu’elle appelle en elle-même l’Anglaise, étant jeune et jolie, l’inspire. Au coin de Sainte-Catherine, ni l’une, ni l’autre ne quittant le 65, il devient évident qu’elles vont toutes les deux à la vente de laine, et effectivement, c’est bien cela.

Elles descendent donc ensemble, au coin du grand magasin. Elles montent dans le même ascenseur, toujours causant, et elles arrivent au rayon pour constater qu’une armée de femmes l’a déjà envahi : Les balles de laine volent de l’une à l’autre. On se pousse, on se bouscule, on s’excuse, ou l’on proteste et s’injurie. Elles font le tour de