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le château

Et dans son exaltation, elle déclamait en riant, sur un ton théâtral :

« I dream’t that I was back in Manderly… » (phrase qui commence le film : Rébecca).

Mais pendant que dans son imagination elle revoyait comme au cinéma la façade de granit multicolore avec ses fenêtres ouvertes sur la forêt, Suzanne disait :

— Manderly, maman, c’était beau, mais n’oublie pas que ce n’était pas gai. C’était tout noir du spectre mauvais de Rébecca.

— Dans mon château, Suzanne, il n’y a pas de fantôme, tu verras, Marielle, c’est une merveille.

Et Marielle répondait avec une ardeur contenue :

— Oh ! Madame, que j’ai hâte, que j’ai hâte…

Toute seule avec Suzanne, elle lui reprocha d’être blasée :

— Je ne suis pas blasée. J’ai peur, c’est tout. Tu ne peux pas savoir comment je me sens le cœur des fois. Et ce château-là, j’en ai peur. Il est trop gros. Il est trop grand. Il est trop loin du chemin et en haut d’une côte trop escarpée. Tu sais que je ne vaux rien dans les côtes, que ça m’étouffe, me rend malade. J’ai peur.

Marielle discuta :

— Tu as trop d’imagination, ou tu n’en as pas assez. Moi rien que de penser à ton château, je bondis, je m’élève sur les ailes du rêve, comme un petit avion d’argent dans les nuages. Oh ! Suzanne, si tu savais comme je te trouve chanceuse…