Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/99

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Leurs orteils grattaient les planches. Des paquets de froide eau verte leur dégringolaient sur la tête par-dessus les pavois. Ils restaient suspendus un instant au bout de leurs bras disloqués, l’haleine coupée par le choc et les yeux clos, puis lâchant prise d’une main se lançaient, têtes ballantes, essayant d’empoigner quelque filin ou quelque épontille plus avant. Le maître d’équipage à longues brassées athlétiques avançait vite, agrippant des choses d’un poing dur comme fer et se remémorant tout à coup des passages de la dernière lettre de sa « vieille ». Le petit Belfast se démenait rageusement et dit : « Sale nègre ! » à mi-voix. D’excitation la langue de Wamibo pendait, tandis qu’Archie, intrépide et calme, mettait à saisir chaque chance de progrès toute la clairvoyance de son sang-froid.

Une fois au-dessus du rouf, ils lâchèrent prise l’un après l’autre et tombèrent lourdement, à plat ventre, les paumes pressées contre la lisse surface de bois de teck. Autour d’eux le ressac des vagues giclait écumeux et sifflant. Toutes les portes s’étaient, comme de juste, transformées en trappes. Celle de la cuisine se rencontrait la première. La cuisine allait de bord à bord, on entendait la mer clapoter là-dedans en notes répercutées et creuses. La porte suivante ouvrait sur l’atelier du charpentier. Ils la levèrent et regardèrent au fond. La pièce semblait avoir subi les ravages d’un tremblement de terre. Tout son contenu avait dégringolé sur la cloison face à la porte et, de l’autre côté de cette cloison, il devait y avoir Jimmy mort ou vif. L’établi, une caisse à demi achevée, des scies, des ciseaux, des fils de fer, des haches, des pinces s’amoncelaient sous un semis de clous épars. Une herminette affilée y dressait son tranchant clair qui luisait dangereusement au fond, comme un mauvais sourire. Les