Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/38

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battu des tempêtes sur son corps de vieillard athlétique.

Charley seul resta dans la blancheur crue de la pièce vide, assis entre les deux rangs de mailles de fer dont la suite se perdait dans l’ombre étroite de l’avant. Il tirait violemment sur les torons du filin, en un effort suprême pour finir son nœud commencé. Tout à coup, il se leva d’un élan, jeta le câble au nez du chat et fila derrière le matou noir qui franchissait à petits sauts les stoppeurs de chaîne, la queue toute droite, en l’air, comme une hampe.

Les marins passèrent de la lumière brutale et de la chaude buée qui noyait le gaillard d’avant à la sérénité d’une nuit pure. Son souffle apaisant les enveloppa, tiède haleine qui s’écoulait sous les étoiles innombrablement suspendues plus haut que la pomme des mâts comme un nuage fin de lumineuse poussière. Dans la direction de la ville, la noirceur de l’eau se rayait de traînées de feu doucement ondulantes au gré des rides de la surface, semblables à des filaments qui flotteraient enracinés au rivage. Des rangs d’autres lumières s’enfonçaient dans les lointains, tout droit comme en parade, dans l’intervalle d’édifices très hauts ; mais de l’autre côté du golfe, de sombres collines arquaient leurs vertèbres noires où, çà et là, le point d’une étoile paraissait une étincelle tombée du firmament. Au loin, vers Bycullah, les lampes électriques aux portes des docks balançaient au sommet de supports grêles leur éclat frigide, comme des spectres captifs de lunes malfaisantes. Épars sur tout le jais luisant de la rade, les navires à l’ancre flottaient parfaitement immobiles sous la faible lueur de leurs fanaux de mouillage, masses opaques surgies comme d’étranges et monumentales structures abandonnées par les hommes à l’éternel repos.