Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/31

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niches étroites qu’on eût ménagées aux cercueils dans un ossuaire illuminé et blanchi à la chaux. Les voix bourdonnèrent plus haut. Archie, les lèvres serrées, se tassa, sembla se retirer dans un plus étroit espace et continua de coudre, industrieux et muet. Belfast braillait comme un derviche en extase :

— … Alors, que je lui dis comme ça, les gars ; sauf respect, que je dis à ce second officier de ce vapeur, sauf respect, le ministre devait être saoul le jour qu’il vous a fichu votre brevet ! « Qu’est-ce que tu dis, sacré… », qu’il dit en me fonçant dessus comme un taureau ; et moi qui lève mon pot à goudron et qui le lui chavire tout sur sa sacrée belle physionomie et son complet blanc… « Prends ça, que je dis. Je sais naviguer, pas moins, espèce de propre à rien, de lèche-pied, de nez partout, de sale épontille à passerelle ! C’est à moi que t’as affaire ! que je gueule… » Il vous aurait fallu le voir sauter, les gars. Noyé, aveuglé de goudron qu’il était ! Alors…

— Ne le croyez pas ! Il n’a jamais jeté de goudron. J’y étais, cria quelqu’un.

Les deux Norvégiens, côte à côte sur le même coffre, pareils et placides, ressemblaient à des perruches inséparables sur le même bâton, et ouvraient innocemment leurs yeux arrondis ; mais le Finlandais, dans l’explosion des cris et le roulement des rires, restait sans bouger, inerte et morne, comme un sourd aux reins mous. Près de lui, Archie souriait à son aiguille. Un nouveau venu, large d’épaules, avec des yeux lents, s’adressa délibérément à Belfast, pendant une accalmie :

— Je me demande comment qu’il en reste des officiers ici avec un gaillard comme toi à bord ! J’en conclus qu’ils ne sont plus si mauvais à présent, si c’est toi qui les as dressés, fiston !