Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/211

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celle d’un continent. Mais il ne pouvait pas dire la raison.

Les obsèques de Jimmy étaient pour cinq heures et la journée nous parut interminable tant par l’inquiétude mentale que par la gêne physique. Nous ne prenions pas intérêt à notre besogne et, comme il sied, nous faisions rabrouer de ce fait. Dans notre état chronique d’irritation et de disette, c’était exaspérant. Donkin travaillait le front bandé d’un linge sale, la mine si défaite que la compassion toucha M. Baker à la vue de cette endurance si vaillante à la douleur.

— Hou ! Hé là, Donkin ! Laisse là ton ouvrage et va te coucher pour ce quart-ci. Tu as l’air malade.

— C’est vrai, sir, dans la tête ça me tient, dit l’autre d’une voix atténuée, et fila lestement. Plusieurs, contrariés, taxèrent le second d’être « bien à la coule aujourd’hui ». On voyait sur la dunette le capitaine Allistoun regardant le ciel se couvrir au sud-ouest et bientôt courut par les ponts la nouvelle que le baromètre avait commencé de tomber dans la nuit et qu’il fallait s’attendre sous peu à de la brise. Ceci, par une subtile association d’idées, conduisit à une violente querelle sur le point de savoir le moment exact où Jimmy était mort. Était-ce avant ou après que ce baromètre s’est mis à descendre ? Impossible de le savoir, d’où maints grognements de mépris échangés. Tout à coup un grand tumulte éclata sur l’avant. Le pacifique Knowles et Davies le débonnaire en étaient venus aux coups. La bordée non de quart intervint avec fougue et pendant dix minutes une bruyante mêlée se pressa autour du panneau où, dans l’ombre balancée des voiles, le corps de Jimmy, enveloppé d’une couverture blanche, gisait sous la garde du lamentable Belfast dédaigneux de la rixe en l’excès de son chagrin. La rumeur apaisée, les