Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/120

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tique à leur portée et avec plus d’effort que pour un grand cri chuchotèrent avec animation.

— Ils ont du café chaud… Le maître l’a… Non !… Où ça ?… On l’apporte. Le coq l’a fait.

James Wait gémit. Donkin gigota rageusement sans prendre garde où frappaient ses pieds, âprement désireux que les officiers n’eussent point de part à l’aubaine. Le café arriva, dans une gamelle où chacun but à son tour. Il était chaud et il ébouillantait les palais avides qu’on ne pouvait y croire encore. Des lèvres soupiraient en s’arrachant de l’étain brûlant : « Comment qu’il a fait ? » Quel qu’un cria faiblement : « Bravo, docteur ! »

Il l’avait fait de façon ou d’autre. Plus tard Archie déclara que cela tenait du miracle. Pendant bien des jours nous nous émerveillâmes du prodige et ce fut là le sujet toujours neuf de nos conversations jusqu’à la fin du voyage. Nous demandâmes au coq, par beau temps, ce qu’il avait éprouvé en voyant son fourneau cabré le bout en l’air. Nous nous enquîmes, tandis que l’alizé du nord-est éventait la sérénité des soirs, s’il avait dû se mettre la tête en bas pour rétablir en quelque manière le bon ordre de son matériel. Nous suggérâmes l’emploi de sa planche à pain comme radeau d’où sans gêne il eût bourré sa grille ; faisant toujours de notre mieux pour cacher notre admiration sous le badinage de nos fines ironies. Il affirmait n’en rien savoir, rabrouait notre légèreté, se déclarait, avec une animation solennelle, favorisé d’une providence à part pour le salut de nos vies pécheresses. En principe il disait vrai, sans doute, mais il n’avait pas besoin d’appuyer avec tant de désobligeante emphase, ni d’insinuer si souvent que nous en aurions vu de dures s’il n’avait été là, méritoire et pur, tout prêt à recevoir l’inspiration et la force pour l’œuvre de grâce.