à l’unique opération mentale qui les absorbait : le désir de vivre. Et le vœu de vivre les gardait vivants, apathiques, aguerris, sous la cruelle persistance du vent et du froid ; tandis que le noir dôme constellé du ciel effectuait sa révolution lente au-dessus du navire qui dérivait, portant leur patience et leur épreuve à travers l’orageuse solitude de la mer.
Pressés l’un contre l’autre, ils se figuraient être absolument seuls. Ils entendaient, soutenues et sonores, d’étranges rumeurs, puis derechef enduraient l’horreur d’exister durant de longues heures de profond silence. Dans la nuit, ils voyaient le soleil, en sentaient la chaleur, et soudain, tressautant, désespéraient que l’aube se levât jamais sur le glacial univers. Quelques-uns entendaient des rires, écoutaient des chansons ; d’autres, au bout de la dunette, s’étonnaient de grands cris humains venus de l’ombre, et, les yeux ouverts, s’émurent de les entendre toujours, quoique très affaiblis et très loin.
Alors le maître d’équipage : « Mais on dirait le coq qui hèle de l’avant… » Il ne croyait pas plus à ses propres paroles qu’il ne reconnaissait sa propre voix. Un long espace de temps s’écoula sans que son voisin donnât signe de vie. Il bourra du poing très fort l’autre homme près de lui et dit : « Le coq nous appelle ! » Beaucoup ne comprenaient pas, à d’autres qu’importait ? La majorité ne se laissait pas convaincre. Mais le maître et un autre matelot eurent le courage de se traîner vers l’avant pour voir. Il sembla qu’ils étaient partis depuis des heures, on les oublia vite. Puis soudain des hommes plongés jusqu’alors dans une résignation sans espoir devinrent comme possédés d’un besoin de frapper, de nuire. Ils s’attaquèrent entre eux à coups de poing. Dans l’ombre ils martelaient avec persistance tout ce qui gisait d’élas-