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Sans éteindre ton cœur, la destinée humaine
Trois fois a mis sa main glaciale sur toi,
T’enseignant la pitié sans t’apprendre la haine,
Te prenant le bonheur sans t’enlever la foi.

C’est pourquoi nous t’aimons, ô muse de souffrance,
Pour tes longues douleurs dont tu fis de l’amour,
Et qu’après tant de jours de nostalgique absence
Dans ta chère cité te voilà de retour.

En toi, muse d’exil, mélancolique et brave,
Faible enfant par l’amour cruel abandonné,
Elle se reconnait, la ville noble et grave,
La ville de tristesse au front découronné.

Tes malheurs ont été ceux de toutes les femmes,
Victimes de l’amour que Dieu donne et reprend,
Et nous voulons offrir en exemple à leurs âmes
Ce destin si banal et que tu fis si grand.

Ô femme qui viendras pleurer un soir près d’elle
Les pesants désespoirs de ton premier amour,
Qu’elle te fasse aimante, apaisée et fidèle
À l’époux qui viendra te consoler un jour ;

Que sa sérénité souveraine te donne
La haute et grave paix qu’achètent les combats,
Car elle sait comment un cœur blessé pardonne
Et se cicatrisant ne se referme pas ;

Car en elle, si douce en notre vie amère,
Chanta la poésie et fleurit la beauté ;
Elle fut l’amoureuse et l’épouse et la mère,
Toute la femme en sa triple divinité.

C’est toi que notre amour, femme, salue en elle,
Toi qu’il dresse debout sur son blanc piédestal,
Éternelle adorée et martyre éternelle,
Saignante poésie et vivant idéal.


Edouard d’Hooghe.