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Discours de M. Anatole France
De l’Académie Française
Délégué par M. le Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts


Messieurs,


Il y a cent dix ans, dans une humble maison de votre noble ville, à la porte d’un cimetière, au pied de l’Église Notre-Dame, naissait de parents modestes et généreux, qui par quelques côtés touchaient aux arts, cette Marceline-Félicité-Josèphe Desbordes, dont vous inaugurez aujourd’hui le monument avec un concours d’admirateurs venus de toute la France. La voici devant nous les mains jointes, la tête inclinée à gauche comme pour écouter son cœur, muse et femme, avec ce qu’il fallait de mode ancienne dans la coiffure, les manches et la taille pour rappeler les années qu’elle a vécues ; et jeune, belle, claire comme la mémoire et les vers qu’elle a laissés. Vous faites bien, Messieurs, d’honorer ainsi votre enfant privilégiée et de célébrer sa gloire innocente.

Marceline Desbordes fut nourrie dans cette ville. Ses plus anciens amis, elle l’a dit, furent les saints de pierre abattus par la Terreur et couchés dans l’herbe des tombes. Elle vécut à Douai les dix premières années de sa vie, dix années d’indigence, qui furent ses années heureuses. Son père était peintre d’armoiries. La Révolution l’avait ruiné. Mme Desbordes se rappela dans sa détresse un vieux parent riche qui habitait la Guadeloupe. Elle fit la traversée avec sa fille. Mais elle trouva la plantation ravagée par les noirs et la fièvre jaune dévorant les Européens. Elle en fut atteinte. Marceline revint orpheline en France. Elle avait un visage aimable, une voix juste et touchante. Elle entra au théâtre pour gagner le pain des siens.

Elle avait déjà fait quelque peu l’apprentissage des planches, avec sa mère sur la route de Marseille. Mais c’est à Douai (le bibliothécaire de votre ville