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être sans défense à qui personne n’avait jamais témoigné d’affection, ni porté le moindre intérêt, non, personne, pas même l’un de ces naturalistes toujours prêts à épingler la plus banale des mouches pour l’examiner au microscope. Si ce souffre-douleur, résigné à subir les railleries de ses collègues, incapable d’accomplir la moindre action remarquable, avait vu soudain sa triste existence illuminée — un court instant, et juste vers la fin, — par la vision radieuse d’un manteau neuf, c’était pour que le malheur s’abattît sur lui comme il s’abat sur les puissants de ce monde !…


Quelques jours après sa disparition, un huissier du ministère vint lui intimer l’ordre de reprendre son service. L’huissier ne put évidemment remplir sa mission et dut déclarer à qui de droit qu’on ne reverrait plus Akaki Akakiévitch.

— Et pourquoi cela ? lui demanda-t-on.

— Parce qu’il est mort, répondit-il. Voilà tantôt quatre jours qu’on l’a porté en terre.

C’est ainsi qu’on apprit au ministère le décès d’Akaki Akakiévitch. On le remplaça dès le lendemain : le nouvel expéditionnaire avait la taille beaucoup plus élevée et l’écriture beaucoup plus penchée.


Cependant Akaki Akakiévitch n’avait pas dit son dernier mot… Qui l’aurait cru appelé à mener outre-tombe une existence mouvementée, à connaître quelques bruyantes aventures, sans doute pour compenser le peu d’éclat de sa vie terrestre ? Il en fut pourtant ainsi et notre modeste récit va devoir se terminer sur une note à la fois fantastique et inattendue. Le bruit se répandit soudain à Pétersbourg que le spectre d’un fonctionnaire apparaissait la nuit aux alentours du pont Kalinkine ; sous couleur de reprendre un manteau volé, le spectre enlevait aux passants de toutes conditions leurs manteaux, quels qu’ils fussent, ouatés, fourrés, à col de