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sensation de froid lui rappela la disparition de son manteau ; il se mit à crier, mais d’une voix qui refusait d’atteindre les confins de l’étendue. Hagard, éperdu, vociférant, il prit sa course, piquant droit sur la guérite auprès de laquelle un garde de ville appuyé sur sa hallebarde ouvrait, je crois, de grands yeux curieux : que diable pouvait bien lui vouloir cet énergumène qui accourait vers lui en hurlant à tue-tête ? D’une voix haletante, Akaki Akakiévitch lui reprocha de dormir à son poste tandis qu’on dévalisait les passants. Le garde de ville répliqua qu’il avait bel et bien vu deux hommes l’arrêter au milieu de la place.

— Mais, ajouta-t-il, je les ai crus de vos amis. Au lieu de m’injurier, vous feriez mieux de vous rendre dès demain chez M. le commissaire ; il vous retrouvera votre manteau en un tour de main.

Akaki Akakiévitch fila d’un trait vers sa demeure, où il rentra en fort piètre état : les cheveux épars – j’entends les quelques touffes qui garnissaient encore ses tempes et sa nuque – la poitrine, les hanches, les jambes toutes maculées de neige. Aux coups terribles qu’il assenait sur la porte, sa bonne femme de logeuse, éveillée en sursaut, bondit de son lit et se précipita ; si dans sa hâte elle n’avait passé qu’une savate, en revanche elle ramenait d’une main pudique sa chemise sur sa poitrine. Le désarroi de son locataire la fit reculer d’effroi ; quand elle fut au courant de l’affreuse aventure, elle leva les bras au ciel et se répandit en bons conseils.

— Surtout, déclara-t-elle, gardez-vous bien de vous plaindre au commissaire du quartier, vous n’auriez que des déboires : pour ce gaillard-là, voyez-vous, promettre et tenir sont deux. Allez donc tout droit chez le commissaire d’arrondissement. Anna la Finnoise, mon ancienne domestique, s’est maintenant placée chez lui comme bonne d’enfants. Je le connais de vue, d’ailleurs : il passe souvent devant ma fenêtre et il ne manque pas une messe du dimanche. Tout en priant le bon Dieu, il