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Le manteau


Quand il eut mis le pied dans l’antichambre, Akaki Akakiévitch aperçut sur le parquet des rangées entières de caoutchoucs au beau milieu desquels un samovar bourdonnait parmi des tourbillons de vapeur. À toutes les parois pendaient des pelisses et des manteaux, dont certains avaient même des cols de castor, et d’autres des revers de velours. Un sourd brouhaha qui venait de la pièce voisine s’amplifia soudain : une porte s’ouvrit, livrant passage à un domestique chargé d’un plateau qu’encombraient des verres vides, un pot de crème, une corbeille de biscuits, signe évident que messieurs les fonctionnaires tenaient depuis quelque temps séance et qu’ils avaient déjà absorbé leur premier verre de thé. Akaki Akakiévitch accrocha son manteau à côté des autres et s’enhardit à pénétrer dans la pièce. Alors, tout d’un coup, les invités, les bougies, les pipes, les tables de jeu papillotèrent à ses yeux éblouis, cependant que le tapage des chaises déplacées et le tohu-bohu des conversations discordantes offusquaient brusquement ses oreilles. Ne sachant trop qu’entreprendre, il se figea dans une posture des plus gauches. Mais bientôt on l’aperçut, on l’acclama, on se précipita dans l’antichambre pour admirer une fois de plus le fameux manteau. Dans sa candeur naïve, Akaki Akakiévitch, encore que tout confus, se sentait flatté par ce concert de louanges. Ensuite, bien entendu, il ne tarda pas à être abandonné, lui et son manteau, pour les charmes du whist. Le vacarme, le bavardage, la foule, toutes ces choses inconnues plongeaient le