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montrera plus conciliant, et alors, n’est-ce pas…, le manteau… »

Ce raisonnement redonna confiance à Akaki Akakiévitch. Le dimanche suivant, il guetta la femme de Pétrovitch et, dès qu’il la vit s’absenter, il s’en fut droit chez son gaillard. Il le trouva bien tout sommeillant, le regard louche et la tête très basse ; mais, dès qu’il sut de quoi il retournait, mon Pétrovitch parut possédé du démon.

— Non, déclara-t-il, c’est impossible, commandez-en un neuf.

Akaki Akakiévitch lui fourra dans la main une pièce de dix kopeks.

— Grand merci, monsieur, reprit Pétrovitch, je prendrai un verre à votre santé. Quant au manteau, croyez-moi, n’y pensez plus ; il est à bout, le pauvre ! Je vais vous en faire un neuf dont vous me direz des nouvelles. ! Fiez-vous-en à moi.

Akaki Akakiévitch voulut revenir à ses moutons ; mais, sans l’écouter, Pétrovitch continua :

— Oui, oui, comptez sur moi, ce sera du beau travail. Et même, si vous tenez à être à la mode, je mettrai au col des agrafes d’argent plaqué.

Désormais convaincu qu’il ne pourrait se passer d’un manteau neuf, Akaki Akakiévitch sentit son courage l’abandonner. Où trouver l’argent nécessaire ? Il attendait bien une gratification pour les fêtes, mais l’emploi en était réglé d’avance. Il lui fallait acheter un pantalon, payer au bottier un vieux remontage, commander à la lingère trois chemises et deux paires de ces attributs vestimentaires dont il serait inconvenant d’imprimer le nom ; bref Akaki Akakiévitch avait disposé de tout cet argent, et même si le directeur daignait porter la somme à quarante-cinq ou, disons plus, à cinquante roubles, il en resterait moins que rien, une bagatelle qui, dans la constitution du capital exigé pour le manteau, jouerait le rôle d’une goutte d’eau dans la mer. Évidemment, Pétrovitch voyait parfois la lune en plein midi et demandait alors des prix exorbitants ; sa femme elle-même ne pouvait quelquefois se