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fidèlement les coutumes ancestrales et, dans ses disputes avec sa noble épouse, traitait celle-ci soit de mondaine, soit d’Allemande. Et puisque nous avons fait allusion à cette personne, il va bien falloir aussi en dire deux mots. Par malheur, on ne savait trop rien sur son compte, sauf qu’elle était la femme de Pétrovitch et qu’elle portait un bonnet au lieu d’un fichu[1] ; elle n’avait point lieu, semble-t-il de se vanter d’être belle ; du moins, il n’y avait que les soldats de la garde pour lui regarder sous le bonnet ; mais, ce faisant, ils hérissaient leur moustache et poussaient un grognement qui en disait long.

En grimpant l’escalier de Pétrovitch, escalier qui, il faut lui rendre cette justice, était tout enduit de détritus et d’eaux grasses, tout pénétré aussi de cette odeur spiritueuse qui pique les yeux et qui se retrouve, comme nul ne l’ignore, dans tous les escaliers de service de Pétersbourg, – en grimpant donc l’escalier, Akaki Akakiévitch s’inquiétait déjà du prix que demanderait Pétrovitch et prenait la ferme résolution de ne pas lui donner plus de deux roubles. La porte du tailleur était ouverte, son honorable épouse ayant, en faisant griller je ne sais quel poisson, laissé échapper une fumée si épaisse que l’on ne distinguait même plus les cafards. Sans être remarqué de la maîtresse du logis, Akaki Akakiévitch traversa la cuisine et pénétra dans la pièce, où il aperçut Pétrovitch assis sur une large table de bois blanc, les jambes croisées sous lui, à la façon d’un pacha turc. Ses pieds étaient nus, suivant la coutume des tailleurs quand ils sont à leur ouvrage ; et ce qui, tout de suite, sautait aux yeux, c’était son gros orteil, que connaissait bien Akaki Akakiévitch, et dont l’ongle déformé était gros et fort comme une carapace de tortue. Pétrovitch portait suspendu à son cou un écheveau de soie et plusieurs de fil ; il tenait sur ses genoux un vieux vêtement. Depuis trois bonnes minutes, il s’efforçait en vain d’enfiler son aiguille ;

  1. Les femmes du peuple portaient le fichu, les petites bourgeoises le bonnet — M.