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COURRIER DE PARIS.

Le Salon de peinture s’ouvre chaque année lorsque les salons du monde sont fermés. C’est à peine si la moitié de la vraie société parisienne assiste à cette fête des arts charmants de la forme et de la couleur, après un hiver tout assourdi du plus importun des arts, la musique. On dirait que ceux qui se sauvent dès le mois de mai ont tant entendu, qu’ils ne veulent rien voir ! Ils vont, s’éparpillant dans les campagnes, regarder les paysages du bon Dieu, — ou dans les villes d’eaux, composer par groupes des tableaux de genre. La province arrive et comble ici le vide de tous les fuyards ; et c’est ainsi qu’on peut se promener ici pendant quatre heures dans les salles de l’exposition sans rencontrer vingt personnes de connaissance ; car nous ne parlons pas des écrivains et des artistes que leur profession même attire là. À cette heure, Paris est partout excepté à Paris. Nous irons bientôt le poursuivre çà et là, et nous vous dirons ce qu’il fait hors de son centre, dans tous les endroits en vogue, où il porte et cherche des aventures !

L’exposition ne sera complète que lorsque la sculpture verra ses œuvres blanches éparpillées dans les méandres du jardin artificiel de la nef. En attendant une critique spéciale, parcourons les salles de la galerie et constatons l’impression que font naître les 3,500 œuvres qu’elles contiennent.

Exposition médiocre, — tel nous semble le résumé. Les plus grands pinceaux y font défaut. M. Ingres n’a pas exposé la Naïade qu’il a vendue à M. le comte Duchâtel. C’est fort regrettable. M. Ingres qui porte la seule plaque de l’ordre qui soit, en France, sur la poitrine d’un artiste, se doit au public avant de satisfaire le goût ou l’opulence d’un amateur isolé. Sa présence eût élevé le niveau de ce Salon qui, sans les Batailles dont la foule est à bon droit curieuse, ne mériterait pas quatre visites. M, Delacroix n’a rien envoyé, ni M. Decamps, ni M. Ary Scheffer (dont l’abstention est désormais chronique), ni M. Troyon, ni M. E. Isabey, ni M. Diaz, ni M. Couture, ni M. Lehmann, ni M. Th. Rousseau. M. H. Flandrin n’a que deux portraits. Il n’y a de Mlle  Rosa Bonheur, que son image, intéressante et sérieuse. Les étrangers non plus ne sont pas venus, et le maître actuel de l’école belge, Henri Leys, acclamé en 1855 par un succès si rapide et si rare, n’a pas jugé à propos de nous faire connaître les nouveaux chefs-d’œuvre que son pinceau produits depuis deux ans. Pas un Allemand ! pas un Anglais !

D’autres, qui manquent au Salon, manquent aussi à la terre. L’année a été fatale aux intelligences. Les lettres ont fait des pertes cruelles ; l’art a perdu Paul Delaroche, Th. Chasseriau, Rude, Simart et quelques autres artistes moins célèbres, mais assurément estimables : Boisselier, Esbrat, Bonnardel, et enfin le graveur Desnoyers, de l’Institut.

Par ailleurs, incomplète en fait de noms, — morts ou abstentions, — cette exposition marque d’un nouveau degré la descente de l’art, des hauteurs historiques, héroïques, religieuses, philosophiques ou allégoriques. Sans précisément se plaindre, on doit constater. Pas de génie, mais du talent.Nous avançons de plus en plus dans la voie de la peinture de genre, et, si l’on osait risquer cette image, on dirait que, comme le journalisme, jadis voué, lui parfois aussi, à l’histoire, à la philosophie, aux choses grandes et qui font penser, le pinceau imite les plumes, et se fait… courrier de Paris !

Oui, ce qu’il aime désormais le plus à reproduire, c’est l’anecdote, les surprises de la vie privée, les aventures, les intérieurs, des femmes bien mises, des scènes mondaines, des cancans, des bavardages… et il fait tant de portraits, qu’il fait presque de la biographie !

Si nous vous dressions le compte des tableaux qui rentrent dans la spécialité peinte de ces choses que nous écrivons depuis dix ans, vous seriez peut-être surpris de voir où va ainsi ce goût public, qu’il faut amuser avant tout ! Qu’ont fait cette année, à coups de pinceau mondain, MM.  Muiler, Naudin, Faustin Besson, Dubufe, Biard, Hillemacher, Rhoen, Tinthouin, Poussin, Gérôme, Hamon, Knaus, Bohn, Landelle, Dubarty, Glaize, Meissonnier, Bernard, Frayer, Chavet, Piassan, Ch. Marchai, etc., etc., etc. ? des courriers de Paris ! Ce sont des chroniqueurs du pinceau qui rivalisent avec nos plumes, et il y en a de bien plus gais que nous ! M. Biard, par exemple ! Ah ! j’allais injustement oublier M. Courbet, le maître peintre d’Ornans. Lui aussi fait de la chronique, et mêlée d’églogue même. Voyez ses Demoiselles bords de la Seine ! les jolis gants rouille et les jolis volants ! Quel farceur ! Avec ce plus que ridicule tableau, il forcera le public à regarder ses chasses. C’est à l’aide de ces moyens violents, qui exaspèrent les gens de goût, que depuis cinq ans ce peintre d’enseignes fait parler de lui. En écrivant ceci même, on le sert ! Un fier malin, ce Courbet-là !

Pour en revenir au monde, nous dirons que le portrait-lion de l’exposition est le pastel de Eug. Giraud, représentant la comtesse Castiglione. La foule des curieux s’y presse. Cette même grande beauté a été traitée au fusin par Borione.

On remarque un médaillon offrant le profil en marbre, gracieux et souriant, d’une jeune femme coiffée d’une résille. C’est l’œuvre inattendue d’une des plus fines et des plus charmantes actrices de Paris, Mlle  Valérie, de la Comédie-Française.

En dehors de l’art professionnel, et relevant du monde élégant, nous retrouverons Mme  Émilie Rougemont, une des beautés de Paris, et un talent envié de plus d’un artiste qui vit de son pinceau. Cette brillante femme de finances a exposé quatre tableaux que le jury a placés avec honneur.

La belle-sœur de M. E. Perrin, directeur de l’Opéra-Comique, Mme  Lucile Doux, a également exposé quatre fort bons portraits, largement peints et savamment modelés, parmi lesquels on remarque celui de Mlle  Stella Colas, de la Comédie-Française.

Au point de vue mondain encore, nous citerons, parmi les fortes œuvres de M. Jean Gigoux, un beau portrait en pied, ingénieusement reflété dans une glace, de Mme  la comtesse Georges Moinzech, fille de Mme  de Balzac. — Et de Mme  Frédérique O’Connell, le vaillant et saillant portrait d’un des derniers venus et déjà d’un des plus éclatants de nos écrivains, M. Edmond About.


L’autre jour on vendait à l’hôtel Drouot un mobilier bourgeois. Il s’y trouvait un immense vieux fauteuil de tapisserie, rendant le crin par tous les trous. C’était le meuble qu’avait habité pendant quinze ans une vieille dame, veuve et impotente, riche et avare, en froid avec sa famille et entourée de mercenaires. Elle était morte peu à peu là dedans, et tout à fait dans son lit ; après quoi cette vente. Les héritiers avaient pris possession et s’étaient étonnés de ne pas trouver dans le secrétaire une plus grosse somme d’argent comptant, car la dame avait plus de 20.000 francs de revenu et elle n’en dépensait pas le quart. On crut à quelque détournement… mais, sans preuve, on se résigna sur le passé, pour entrer en jouissance de l’avenir.

Un matin, arrive chez le neveu, principal légataire, une vieille fille qui avait servi l’impotente pendant dix ans et qui avait dû s’en séparer par suite des mauvais traitements dont elle était victime. Apprenant la mort de la vieille, elle venait précisément donner des indications sur l’usage que celle-ci faisait des sommes qu’on lui apportait fréquemment. Cette fille raconta qu’elle en mettait tant qu’elle pouvait dans les bouches de chaleur d’un calorifère hors de service, les poussant là dedans avec un bâton. On courut au logis encore inhabité… On trouva là 7.000 francs en or, dans de vieux gants attachés avec de la laine à tricoter. Mais la cachette principale ?

C’était le grand fauteuil dans lequel la dame passait sa vie. Utilisant les ouvertures qu’avait faites à l’étoffe un long usage, ou en ouvrant de nouvelles avec ses ciseaux, elle fourrait dans le crin épais de petits paquets d’or et des billets de banque, provenant de ses locataires. La fille de service l’avait vue vingt fois procédant à ces cachettes, à ces cachotteries et s’entourant de ses trésors. — Le fauteuil ! le fauteuil ! — s’écria l’héritier.

Le fauteuil avait été vendu, le mardi précédent, — 27 francs, — à cause du crin, — en la salle des commissaires-priseurs. On fit mille recherches… On ne put savoir à qui. Un des hommes de service se rappela seulement que celui qui avait acheté le vieux meuble l’avait lui-même et fort péniblement emporté sur sa tête. Cherche !


Il y a peu de jours, un vieillard, qui demeure rue de la Victoire, et depuis un mois alité par des maux divers, sentant sa fin approcher, veut faire son testament. On va chercher deux notaires, et ceux-ci appellent six témoins. On prend le portier de la maison, le vitrier d’en bas, le boulanger d’à côté, le lampiste d’en face, le verdurier du coin… et pour sixième, on racole un monsieur, trouvé dans l’escalier, descendant de l’étage supérieur pour sortir.

Le moribond, qui est riche et qu’entourent de simpies collatéraux et des mercenaires, dicte fermement son affaire. Il fait généreusement les choses pour les siens et aussi l’ample part des pauvres. L’acte rédigé, il signe ; on signe après lui, et pour ce, chacun s’approche de la table poussée tout contre le lit. Le testateur remercie le portier, le vitrier, le boulanger, etc., auxquels il a stipulé un cachet de 100 francs par tête pour leur peine… et, pris d’une quinte, on croit qu’il va éternuer la vie, lorsque, pas du tout ! il se remet. Un des notaires s’excuse auprès du sieur saisi dans l’escalier, et qui, différent des autres témoins, n’avait fourni aucun article de commerce à celui qu’il assistait ainsi à l’article mort… C’est le mot : article dernier ! Le vieillard veut aussi murmurer son mot ; il soulève la tête, regarde… regarde tant qu’il peut sous sa pesante paupière, et, comme l’inconnu, saluant tout le s’en allait :

— Monsieur… pardon… attendez donc, de sa voix éteinte.

L’autre s’arrête et écoute.

— N’ai-je pas eu l’honneur (bhum ! bhum ! il tousse) de vous voir quelque part ?… Votre figure… bhum ! bhum !

— Monsieur… je ne saurais vous dire…

Il approche davantage, le malade le regarde fixement.

— Oui… à présent, je me souviens ! c’était… bhum ! bhum !… le mois dernier, au Théâtre-Français.

— C’est possible, monsieur, j’y vais souvent.

— Oui… on donnait la reprise de la jeunesse de Henri V… une œuvre pleine de vieux souvenirs pour moi… bhum ! bhum !

— En effet, je crois me rappeler…

— J’étais déjà souffrant… le plaisir de revoir cette bonne vieille pièce me fit commettre une impruddence… Il n’y avait plus de place à louer… Je me contentai… bhum ! bhum !… d’un tabouret… près du couloir. Vous aviez une bonne stalle a l’abri des courants d’air… Vous vîtes un vieillard que monde culbutait pendant l’entr’acte…

— Monsieur, je n’ai rien fait que de très-simple.

— Vous avez pris mon mauvais tabouret… bhum ! bhum !… et vous m’avez contraint d’accepter votre excellente stalle, d’où je pus, loin des vents coulis, à l’abri des coups de coude et plus près de la scène, jouir d’un spectacle qui me replongeait en pleine et douce jeunesse !… Ce fut un acte d’humanité, monsieur !

— Oh ! tout au plus un acte de politesse !

— Non, non !… on est fort… bhum ! bhum. égoïste, fort grossier aujourd’hui… chaqu’un ne songe qu’a prendre ses aises, et on se soucie peu des cheveux blancs des autres !… Je veux, monsieur… puisque… bhum ! bhum !… le hasard vous a permis de me rendre ici un second… un dernier service… vous en reste un petit témoignage de ma reconnaissance…

Et faisant signe au notaire d’approcher, le moribond lui parle à l’oreille ; une ligne est sur-le-champ ajoutée au testament, bientôt paradé et scellé. On se quitte. Le surlendemain, le monsieur, revenant voir son ami à l’étage supérieur, s’informe du vieillard il était mort dans la nuit.

Hier, on a ouvert son testament… et M. Der…, modeste employé de la maison Garnier et Chaumont, y est inscrit pour 25,000 francs. Ne dites plus que la vertu n’est pas toujours récompensée !


Mme  Grassau, duègne, a été produite, manche dernier, au Théâtre-Français, dans Tartuffe, et, depuis, dans les Femmes savantes. Il y a quelque intérêt à connaître comment s’est fait cet engagement. L’Odéon remerciait cette pauvre vieille artiste. Elle fait exposer sa triste situation au ministre d’État. Celui-ci fait appeler M. Empis, et lui demande si le Théâtre-Français n’aurait pas quelque petit coin pour cette septuagénaire de l’art. Mme  Thénard se retirait. M. Empis pensa que Mme  Grassau pouvait hériter de quelques-uns de ses rôles ; il fit appeler la duègne et lui offrit l’affaire. Celle-ci, la veille très-inquiète sur son avenir… — l’avenir d’une pauvre femme de soixante-dix ans ! — remercia avec effusion l’administrateur du Théâtre-Français, et signa, la main tout émue et la vue troublée par les larmes de la reconnaissance, l’engagement qu’on avait préparé pour elle. Elle sort, et, toute bouleversée encore, s’en va s’asseoir un moment chez un des employés du théâtre qu’elle connaît. Elle lui raconte toute sa joie, cette joie qui lui porte non-seulement à la tête, mais aux jambes ! Dans cette joie plane cependant une curiosité : combien a-t-elle d’appointements ?… Elle n’a pas osé le demander à M. l’administrateur général, membre de l’Académie française, un personnage entre les mains duquel elle avait naturellement signé sans lire ! L’employé comprend cette curiosité palpitante ; il voudrait la calmer ; on supputait des chiffres.

— Combien puisez-vous donc qu’on ait pu me donner ? — disait la bonne vieille.

— Quinze cents francs… dix-huit peut-être…

— Oh ! dix-huit cents francs ce serait superbe je n’ose espérer autant !

L’employé prend un prétexte, et s’en va chez M. Empis. Il parle de Mme  Grassau et il arrive à voir l’engagement ; il revient bien vite.