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regard éperdu du récitant ? Pas le moindre soupçon de cabotinage. Les vers furent dits avec une simplicité presque puérile. Mais toute la misère morale et physique de l’homme larmoyait, geignait, grondait dans cette voix qui emplissait de sa lamentation la salle presque vide du café d’Harcourt.

Un matin glacial de 1896, mon ami Henri Degron pénétra chez moi, en criant : « Verlaine est mort ! » Il venait de son domicile. Je me précipitai à mon tour à la maison mortuaire. Le fidèle ami de Verlaine, A.-F. Cazals, m’introduisit dans la chambre du mort. Il était inimaginablement beau. Un sourire de béatitude errait encore sur ses lèvres. La tête était un peu penchée sur l’épaule gauche, comme dans un paisible sommeil. Le pauvre vieux faune était bien trépassé : l’âme seule du saint irradiait de ce cadavre. Depuis longtemps j’avais désappris de prier. Mais je me penchai sur Verlaine mort et je lui baisai le front.



WALT WHITMAN


À LÉON BAZALCETTE.


J’ai rencontré Walt Whitman à New-York, quatre ou cinq années avant sa mort. Il y était venu, selon sa touchante coutume, le jour de l’anniversaire de l’assassinat d’Abraham Lincoln, faire une conférence sur le grand président qui avait payé de sa vie sa vigilante défense du « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ».

Je pris trois billets pour la conférence et j’allai quérir deux amis, Jonathan Sturges, le premier traducteur de Maupassant en anglais, et Clarence MacIlvaine, qui est aujourd’hui un des directeurs de la fameuse maison d’édition Harper et Frères.

Nous étions à cet âge heureux (et que pour ma part je n’ai pas dépassé) où le respect littéraire prend toute la force d’une émotion religieuse. L’affiche portait que la conférence aurait lieu de très