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par ses grandes victoires et par la paix qu’il a souvent donnée à ses ennemis à la tête de ses armées, m’a commandé de venir trouver Votre Majesté pour l’assurer de l’estime particulière qu’il a conçue pour elle.

» Il connaît, Sire, vos augustes qualités, la sagesse de votre gouvernement, la magnificence de votre cour, la grandeur de vos États et (ce que vous vouliez particulièrement lui faire connaître par vos ambassadeurs) l’amitié que vous avez pour sa personne, confirmée par cette protection continuelle que vous donnez à ses sujets, principalement aux évêques qui sont les ministres du vrai Dieu.

» Il ressent tant d’illustres effets de l’estime que vous avez pour lui, et il veut bien y répondre de tout son pouvoir dans ce dessein ; il est prêt de traiter avec Votre Majesté, de vous envoyer de ses sujets pour entretenir et augmenter le commerce, de vous donner toutes les marques d’une amitié sincère, et de commencer une union entre les deux couronnes autant célèbres dans la postérité que vos États sont séparés des siens par les vastes mers qui les séparent.

» Mais rien ne l’affermira tant en cette résolution, et ne vous unira plus étroitement ensemble que de vivre dans les sentiments d’une même croyance.

» Et c’est particulièrement, Sire, ce que le roi mon maître, ce prince si sage et si éclairé, qui n’a jamais donné que de bons conseils aux rois ses alliés, m’a commandé de vous représenter de sa part.

» Il vous conjure, comme le plus sincère de vos amis, et par l’intérêt qu’il prend déjà à votre véritable gloire, de considérer que cette suprême majesté dont vous êtes revêtu sur la terre ne peut venir que du vrai Dieu, c’est-à-dire d’un Dieu tout-puissant, éternel, infini tel que les chrétiens le reconnaissent, qui seul fait régner les rois et règle la fortune de tous les peuples. Soumettez vos grandeurs à ce roi qui gouverne le ciel et la terre c’est une chose, Sire, beaucoup plus raisonnable que de les rapporter aux divinités qu’on adore dans cet Orient, et dont Votre Majesté, qui a tant de lumières et de pénétration, ne peut manquer de voir l’impuissance.

» Mais elle le connaîtra plus clairement encore si elle veut bien entendre durant quelque temps les évêques et les missionnaires qui sont ici.

» La plus agréable nouvelle, Sire, que je puisse porter au roi mon maître, est celle que Votre Majesté, persuadée de la vérité, se fasse instruire dans la religion chrétienne c’est ce qui lui donnera le plus d’admiration et d’estime pour Votre Majesté c’est ce qui excitera ses sujets à venir avec plus d’empressement et de confiance dans vos États ; et enfin, c’est ce qui achèvera de combler de gloire Votre Majesté, puisque par ce moyen elle s’assurera un bonheur éternel dans le ciel, après avoir régné avec autant de prospérité qu’elle fait sur la terre. »

La harangue finie, M. l’ambassadeur, sans se lever et sans ôter son chapeau, hors quand il parlait des deux rois, a montré à Sa Majesté quelques uns des présents qui étaient dans la salle. Il m’a ensuite fait l’honneur de me présenter, et puis les gentilshommes. Aussitôt, M. Constance qui a servi d’interprète, s’est prosterné trois fois avant que de parler, et a expliqué la harangue en siamois, M. l’ambassadeur demeurant toujours assis et couvert. Dès que l’explication a été faite, M. l’ambassadeur s’est levé, a ôté son chapeau, s’est tourné de mon côté, a salué respectueusement la lettre du roi, l’a prise, et s’est avancé vers le trône.

Il faut vous expliquer ici un incident fort important. M. Constance, en réglant toutes choses, avait fort insisté à ne point changer la coutume de tout l’Orient, qui est que les rois ne reçoivent point les lettres de la main des ambassadeurs ; mais Son Excellence avait été ferme à vouloir rendre celle du roi en main propre. M. Constance avait proposé de la mettre dans une coupe au bout d’un bâton d’or, afin que M. l’ambassadeur pût l’élever jusqu’au trône du roi mais on lui avait dit qu’il fallait ou abaisser le trône ou élever une estrade, afin que Son Excellence la pût donner au roi de la main à la main. M. Constance avait assuré que cela serait ainsi. Cependant nous entrons dans la salle, et en entrant nous voyons le roi à une fenêtre au moins de six pieds de haut. M. l’ambassadeur m’a dit tout bas : « Je ne saurais donner la lettre qu’au bout du bâton, et je ne le ferai jamais. » J’avoue que j’ai été fort embarrassé je ne savais quel conseil lui donner. Je songeais à porter le siège de M. l’ambassadeur auprès du trône, afin qu’il pût monter dessus, quand tout d’un coup, après avoir fait sa harangue, il a pris sa résolution, s’est avancé fièrement vers le trône en tenant la coupe d’or où était la lettre, et a présenté la lettre au roi sans hausser le coude, comme si le roi avait été aussi bas que lui. M. Constance, qui rampait à terre derrière nous, criait à M. l’ambassadeur : « Haussez ! Haussez ! » Mais il n’en a rien fait, et le bon roi a été obligé de se baisser à mi-corps hors la fenêtre pour prendre la lettre, et l’a fait en riant ; car voici le fait. Il avait dit à M. Constance : « Je t’abandonne le dehors, fais l’impossible pour honorer l’ambassadeur de France ; j’aurai soin du dedans. Il n’avait point voulu abaisser son trône, ni faire mettre une estrade, et avait pris son parti, en cas que M. l’ambassadeur ne haussât pas la lettre jusqu’à sa fenêtre, de se baisser pour la prendre.

Cette posture du roi de Siam m’a rafraîchi le sang, et j’aurais de bon cœur embrassé l’ambassadeur pour l’action qu’il venait de faire. Mais non seulement ce bon roi s’est baissé si bas pour recevoir la lettre du roi ; il l’a élevée aussi haut que sa tête, ce qui est le plus grand honneur qu’il pouvait jamais lui rendre. Il a dit ensuite qu’il recevait avec grande joie des marques de l’estime et de l’amitié du roi de France, et qu’il était presque aussi aise de voir M. l’ambassadeur que s’il voyait le roi lui-même. Après quoi on a ouï les trompettes et tambours comme avant l’audience. C’est pour avertir au dehors que Sa Majesté va sortir de son trône. Il s’est retiré doucement et a fermé sa petite fenêtre.

En sortant, notre marche a été la même qu’en venant. Nous sommes arrivés au palais de son excellence au milieu d’une foule incroyable de peuple ; on ne voyait que des têtes. La ville est assurément fort peuplée, mais ce n’est pas encore Paris. Il faut que je vous aime bien, d’écrire si long-temps, étant aussi las que je le suis. Les honneurs coûtent cher. J’ai porté la lettre du roi, les Siamois me regardent avec respect ; mais je l’ai portée plus de trois cents pas dans un vase d’or qui pesait cent livres, et j’en suis sur les dents.

M. Constance vient de sortir d’ici ; c’est un maître homme. M. l’ambassadeur lui disait qu’il avait été embarrassé en voyant le trône du roi si haut, parce qu’il avait bien résolu de ne point hausser le bras en donnant la lettre, et qu’il aurait été au désespoir de déplaire à Sa Majesté. « Et moi, lui a répondu M. Constance, j’étais encore plus embarrassé : vous n’aviez qu’un roi à contenter, et j’en avais deux. » Il nous a montré, pendant l’audience, le beau-frère du roi de Camboge prosterné comme les autres. « Son excellence, nous disait-il, a les pieds où les frères de roi ont la tête. » En un mot, c’est un drôle qui aurait de l’esprit à Versailles. Il a trouvé les confitures à la française fort bonnes. Bonsoir ; je dors tout debout.


SAINT SIMÉON LE STYLITE. — SANCTORIUS.

Voici deux gravures curieuses, l’une tirée d’une peinture du Vatican, l’autre empruntée à l’œuvre du comte de Caylus ; elles représentent deux personnages célèbres qui, par des motifs très différents, se firent une destinée singulière. Le premier est un anachorète du cinquième siècle, saint