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LE MÉNESTREL

ténor Vergnet, et il a été très chaleureusement apprécié, aussi bien dans la musique de ce rôle que dans celle de l’Enfance du Christ, de Berlioz. La Sérénade illyrienne et l’Aubade de Conte d’Avril, de M. Widor, ont été très poétiquement rendues, et la suite en si mineur de Bach a valu un bis au flûtiste M. Balleron. Le public a aussi beaucoup goûté l’interprétation de la symphonie en ut mineur de Beethoven, bien que la critique ne l’ait pas jugée « orthodoxe ». Après l’exécution du ballet d’Henry viii qui terminait le 4e concert, une ovation prolongée a été faite à M. Colonne. — Le premier des trois concerts Richter annoncés pour la saison a eu lieu lundi dernier à Queen’s Hall. À part un nouveau Scherzo capriccioso de Dvorak, œuvre étincelante de verve et d’un puissant intérêt symphonique, le programme ne présentait que des œuvres fréquemment entendues, sur lesquelles aucune remarque n’est nécessaire. — Votre célèbre jeune pianiste parisien, M. Léon Delafosse, a donné mardi à Saint-Jame’s Hall, avec le concours du fameux violoniste Ysaye, un concert qui avait attiré une affluence considérable. M. Delafosse a joué un Nocturne et une Ballade de Chopin, deux pièces de M. Gabriel Fauré, une Étude de concert d’Antonin Marmontel et une Rapsodie de Liszt. Après chacun de ces morceaux le public, généralement très réservé vis-à-vis des artistes étrangers nouveaux venus, a fait au jeune virtuose français les plus chaudes ovations. M. Ysaye, qui est un favori du public anglais, a été lui aussi très acclamé. Il a joué avec M. Delafosse la nouvelle sonate pour violon de M. Saint-Saëns et la sonate dramatique de Raff. Il s’est aussi fait entendre dans un concertstück inédit d’un compositeur nouveau, M. Rasse. Le second concert Delafosse-Ysaye aura lieu mardi prochain.

Léon Schlésinger.

— Au festival de Norwich on a exécuté pour la première fois, le 9 octobre, sous forme de cantate, le nouvel opéra inédit de M. Luigi Mancinelli, Ero e Leandro, dont les rôles étaient tenus par Mme Albani, le ténor Lloyd et la basse Watkin-Mills. Le succès paraît avoir été considérable. L’auteur du livret d’Ero e Leandro est M. Tobia Gorrio, autrement dit M. Arrigo Boito, l’auteur de Mefistofele et le collaborateur de Verdi pour Otello et pour Falstaff.

— Au festival musical de Bristol, le Requiem posthume de Gounod en ut majeur vient d’être exécuté pour la première fois en Angleterre avec un succès marqué. L’exécution a été très satisfaisante.

— Le directeur de la société anonyme de New-York dont les intérêts étaient confiés à MM. Abbey, Gran et Schoeffel annonce que la mort de M. Abbey, ne change en rien la situation de l’entreprise artistique du Metropolitan Opera House à New-York. Les représentations commenceront d’après le programme publié, et plusieurs artistes de la troupe engagée ont déjà quitté l’Europe pour se rendre à New-York.

— Au Broadway-Théâtre de New-York on a donné récemment la première représentation d’un opéra nouveau, le Capitan, dont la musique est due à M. Philippe Sousa, compositeur et chef d’orchestre américain, très populaire de l’autre côté de l’Atlantique.

— À l’occasion d’une polémique dans un journal russe, la Société philharmonique de Saint-Pétersbourg a publié une déclaration d’après laquelle le prince Galitzine avait fait don à ladite société, le 30 octobre 1823, d’une partition de la Missa solemnis de Beethoven, que le grand artiste lui avait envoyée avec une lettre autographe datée du 21 juin 1823. C’est d’après cette partition que la messe fut exécutée par la Société philharmonique, le 26 mars 1824, à Saint-Pétersbourg, dans sa salle de concerts située près du pont de Kazan, dans la maison Koussofnikof. Le concert, donné au profit des veuves et orphelins des musiciens appartenant à la société, rapporta la somme, fort considérable pour l’époque, de 2.251 roubles, soit 9.000 francs environ. Cette déclaration prouve que la célèbre messe a été exécutée dans la capitale russe pour la première fois ; l’exécution à Vienne n’a donc été que la seconde.

La Reine de Saba, l’opéra de Goldmark, sera prochainement joué en Russie, en langue russe. MM. Trawski et Borodine sont les auteurs des paroles russes.

— Schiller n’a pas eu, à Paris, beaucoup de succès avec son Don Carlos ; en Russie, son Guillaume Tell vient aussi de passer un mauvais quart d’heure. Dans une petite ville de l’empire une société d’amateurs avait représenté, devant un public d’invités, l’acte de la conjuration. Un gendarme assistait à la soirée comme gardien de la loi. Les élucubrations révolutionnaires des Suisses ne lui plaisaient guère, et il était en train justement de méditer sur une résolution grave à prendre, lorsque le dilettante qui jouait Stauffacher prononça la phrase séditieuse : « Si j’étais arbitre entre l’Autriche et nous, vraiment nous obtiendrions justice. Mais c’est notre propre empereur qui nous opprime. » Le brave pandore ne fit qu’un bon jusque sur la scène. « Assez, messieurs ; si vous continuez, je vous arrête tous ! » Et le rideau tomba sur cet effet, dont Schiller ne s’était guère douté.

— Une ancienne et brillante élève de notre Conservatoire, l’excellente violoniste Teresina Tua, aujourd’hui comtesse de la Valetta, a donné en Russie, pendant la dernière saison, une série de cent dix concerts. Cette tournée très fructueuse a conduit l’artiste jusqu’aux frontières de la Perse.

— Un conflit singulier vient de s’élever à Vienne. Plusieurs chanteurs de l’Opéra, les ténors Winkelmann et Schrœdter et la basse de Reichenberg, font fonction de suppléants à la chapelle impériale. Pour devenir titulaires de leurs emplois, ces messieurs devaient, selon le règlement, subir un examen. Or, ces artistes ont protesté en déclarant que leur situation à l’Opéra devait les exempter de cet examen, et M. Schrœdter a même offert sa démission à l’Opéra. Le grand maître de la cour impériale a cependant décidé que les artistes étaient tenus de se soumettre à un examen devant le premier kapellmeister de la cour, M. Hans Richter. On ne prévoit pas encore, à Vienne, comment ce conflit finira ; ce qui est clair, c’est que le cumul de la musique d’opéra avec la musique religieuse ne profite ni aux chanteurs, ni à l’art, ni à l’église.

— Pendant la dernière saison on n’a pas compté, à Berlin, moins de 800 concerts. D’après les annonces qui commencent à affluer, les experts évaluent ce nombre de ceux qui seront donnés pendant la prochaine saison à plus de mille. Perspective terrible pour les amateurs qui veulent tout connaître, et aussi pour les critiques musicaux, desquels tous les artistes attendent un mot d’appréciation.

— Le théâtre tchèque de Prague, sous la direction de M. Subert, annonce pour la nouvelle saison les premières représentations des œuvres suivantes : Perdita, paroles imitées de Shakespeare, musique de M. Nechvera, et Doubrovsky, musique de M. Napravnik. On jouera aussi pour la première fois, à ce théâtre, le Grillon du foyer de Goldmark, Armide de Gluck, l’Apothicaire de Joseph Haydn, l’Éclair d’Halévy et la Vivandière de Godard.

— Un procédé singulier a été inventé par le directeur du théâtre de Giessen, ville universitaire où les étudiants sont toujours en nombre au théâtre. Pour punir une artiste récalcitrante, l’affiche annonçait pour le 13 octobre un changement imprévu, avec cet avis imprimé en gros caractères : « Ce changement a été occasionné par le fait que Mlle X… (suit le nom en toutes lettres) n’a pas suffisamment appris son rôle ». Il paraît que l’artiste s’est fâchée tout rouge — il y a de quoi — et a intenté un procès à son directeur.

— On nous télégraphie de Hambourg que l’opéra inédit d’Ignace Brüll, intitulé Gloria, vient être joué avec beaucoup de succès à l’Opéra de cette ville, dirigé par M. Pollini. Quatorze rappels pour le compositeur, qui assistait à la première, et applaudissements chaleureux pour les principaux interprètes et le chef d’orchestre Mahler, qui dirigeait la représentation avec son talent habituel. Un solo de violon, page charmante, a dû être répété deux fois.

— Le théâtre ducal de Brunswick vient d’organiser une exposition théâtrale qui se borne à l’histoire de ce théâtre, mais qui est néanmoins assez intéressante. Cette exposition offre une collection de six cents portraits d’artistes qui ont appartenu au théâtre de Brunswick, des costumes précieux, des portraits d’artistes dramatiques et de compositeurs dont les œuvres ont été jouées à Brunswick, enfin beaucoup de manuscrits, parmi lesquels se trouvent plusieurs documents importants.

— Une opérette inédite, intitulée le Chasseur de lions, musique de M. Georges Vérœ, vient d’être jouée avec succès au théâtre An der Wien, à Vienne.

— La ville de Bromberg (Prusse) a fait construire un nouveau théâtre à la place de l’ancien théâtre municipal, qui a été détruit par un incendie en 1890. Le nouveau théâtre a coûté près de 600.000 francs et paraît très réussi. Guillaume ii vient de lui attribuer une subvention annuelle de 10.000 marcs.

— La veuve du chef d’orchestre Jules Langenbach, de Bonn, vient de donner trois maisons et une somme de 50.000 marcs pour fonder un asile destiné aux veuves de musiciens et professeurs de musique allemands qui y seraient logées et nourries gratuitement. Inutile de dire que la somme mentionnée est absolument insuffisante, mais on commence à réunir les fonds supplémentaires nécessaires dans toutes les grandes villes allemandes, et on espère pouvoir réaliser cette idée philanthropique.

— On prépare au théâtre royal de Copenhague la première représentation d’un opéra inédit intitulé Kean, livret imité du drame d’Alexandre Dumas père, musique de M. Auguste Enna, qui s’est fait connaître déjà par deux ou trois opéras, dont un surtout, la Sorcière, a obtenu un vif succès.

— La législation suédoise vient de prohiber dans toute l’étendue du royaume les cafés-concerts, music-halls et autres établissements similaires, à cause de la démoralisation qu’on doit leur attribuer et dont se plaignent spécialement les professeurs qui ont l’occasion d’observer la jeunesse. Depuis le 1er octobre de cette année, tous ces établissements ont dû fermer leurs portes. On se propose de remplacer la distraction fâcheuse qu’ils offraient au public par des concerts d’orchestre ayant un programme sérieux, ce qui sera certainement préférable sous tous les rapports.

— Nous recevons d’Amsterdam la nouvelle que Mignon a remporté un succès brillant au Grand-Théâtre, avec, comme protagoniste, Mme Sigrid Arnoldson, à laquelle le public a bissé le duo des hirondelles, la styrienne et la prière du dernier acte. Les prix avaient été triplés, et des marchands de billets avisés vendaient les fauteuils jusqu’à 30 florins hollandais, soit environ 63 francs.

— La musique en Suisse. Les résultats de la première année d’exploitation de l’admirable Tonhalle que la jolie ville de Zurich s’est fait construire récemment, sont particulièrement encourageants pour la société