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LE MÉNESTREL

Je vous avoue, Monsieur, que la rime féminine à la fin de chaque couplet me gêne beaucoup… je retombe toujours dans une finale commune que je voudrais éviter

Enfin, je ferai tous mes efforts pour pouvoir réussir, et à moins que décidément mes vœux ne veuillent pas être exaucés, j’espère sous peu vous envoyer la romance mise en musique.

Je me conformerai à vos désirs, Monsieur, pour la dédicace.

Veuillez recevoir l’assurance des sentiments distingués de votre très humble et très obéissant serviteur.

Boieldieu.

Ce 18 mai 1814. »


C’est précisément à propos de Boieldieu — et de la cérémonie funèbre de son cœur à Rouen — qu’Adolphe Adam, qui avait été son élève préféré, écrivait l’intéressante lettre que voici :

« 
Paris, le 10 novembre 1834.

Monsieur.

Je viens de recevoir la lettre par laquelle vous m’invitez à me joindre aux compatriotes de mon illustre maître pour lui rendre les honneurs qu’a si bien mérités son beau génie.

Permette-moi de vous exprimer toute ma reconnaissance de l’honneur que me fait la ville de Rouen : je me garderai bien de manquer à cet appel fait à mon cœur, car qui plus que moi a pu sentir la perte immense que nous avons faite ? La ville de Rouen, riche de tant de célébrités, a perdu un de ses fils, et moi, c’est un père que je pleure. Si l’homme de génie a mérité vos hommages, l’excellent ami, l’homme doué de toutes les qualités du cœur et de l’esprit n’a pas moins droit à mes larmes. Je saisirai donc avec empressement cette occasion de lui donner une dernière marque de reconnaissance.

Daignez agréer, Monsieur, l’expression des sentiments distingués avec lesquels j’ai l’honneur d’être,

Votre très dévoué serviteur.

Adolphe Adam.

P.-S. — Mes occupations ne me permettront pas de quitter Paris avant mercredi soir, mais j’arriverai à tems pour la cérémonie. Le célèbre pianiste

Zimmermann, aussi élève de Boieldieu, sera mon compagnon de voyage. »


Autre lettre de musicien, celle-ci de Victor Massé, qui l’adressait à M. Alfred Blanche, alors secrétaire général de la Préfecture de la Seine :

« 
7 août 1865.

Mon cher Monsieur Blanche,

On me dit que mon ami Pasdeloup a été nommé directeur du Théâtre-Lyrique. Pourra-t-il être directeur de théâtre, chef d’orchestre des Concerts populaires et des soirées du préfet, et directeur de l’Orphéon ? Il semble à première vue qu’il y a là de quoi remplis deux existences.

Si Pasdeloup était obligé de quitter l’Orphéon, je serais bien heureux de le remplacer. Voulez-vous bien me continuer votre bienveillance, qui, du reste, date déjà de loin, en me soutenant dans cette candidature hypothétique ?…

Vous avez toujours été si bon pour moi, que, le cas échéant, je sens que je pourrais compter sur votre puissant appui auprès du préfet de la Seine.

Permettez-moi de vous serrer la main affectueusement.

Victor Massé.
 »


Passons aux comédiens, ou plutôt aux comédiennes. Voici une lettre très digne et très fière que la séduisante Louise Contat adressait au commissaire du gouvernement chargé évidemment des intérêts de la Comédie-Française, lors de la reconstitution de ce théâtre à la suite des événements révolutionnaires qui l’avaient ruiné :

« 
Marseille, le 3 germinal ( ?).

Mon frère m’a instruite, citoyen commissaire, de la réclamation qu’il vous avait adressée, relativement au secours que vous avez fait distribuer aux artistes du théâtre de la République. Je m’empresse de vous informer qu’en faisant cette demande, il a consulté son zèle pour mes intérêts plus que mes intentions.

Je n’ai pas plus l’habitude d’exéder (sic) mes droits que de les abandonner, et quelque (sic) soit ma situation, je ne suis pas assez malheureuse pour que ma famille manque de ressource (sic) quand mes efforts lui sont consacrés.

J’ai eu l’avantage de vous écrire avant mon départ de Lyon, et j’ose me flatter que vous m’avez fait la grâce de me répondre aussi positivement qu’à mon frère.

Agréez, citoyen commissaire, l’assurance de mes sentiments.

Louise Contat.
 »


On croirait plutôt cette lettre écrite de la main d’un homme. En voici une plus féminine, d’une écriture fine, régulière et pleine d’élégance, due à cette toute charmante Juliette Mézeray que, quelques années plus tard, son terrible et funeste penchant à l’ivrognerie devait conduire à une fin lamentable :

« 
Ce dimanche deux décembre 1810.

Je n’ai pu vous donner des nouvelles, mon bon chat, puisque je n’en ai encore reçu aucune. Ce silence ne me dit rien de bon, et je suis déterminée à frapper maintenant aux grandes portes. Mais j’ai besoin de vos conseils ; je les réclame donc, et vous engage, si toutes fois (sic) vous n’avez rien de mieux à faire, à venir me voir lundy soir. Je ne joue que dans la première pièce, bien que l’on donne les Trois Sultanes : mais j’ai la poitrine et l’estomac tellement fatigués que je ne puis chanter, ce qui m’a obligée à refuser de rendre encore une fois ce service à la Comédie.

Bon jour, mon ami, faites-moi savoir si je puis compter sur le plaisir de vous voir demain.

Toute à vous, votre amie.

J. Mézeray.
 »


Il est ici question des Trois Sultanes, où Mlle Mézeray se faisait d’ordinaire applaudir doublement, non seulement pour son jeu, mais pour son chant. Elle était, en effet, douée d’une voix charmante et dont elle se servait avec habileté ; à ce point que pendant la Révolution et la débâcle de la Comédie-Française, lorsqu’une colonie de celle-ci s’en alla occuper le théâtre Feydeau conjointement avec la troupe lyrique, chacune d’elles jouant de deux jours l’un, il arriva qu’à diverses reprises {Mlle|Mézeray}} se joignit aux chanteurs de Feydeau et se montra dans plusieurs opéras-comiques.

Voici enfin un billet — non signé — de la grande Rachel, qu’elle adressait à Alexandre Dumas à l’époque des débuts très brillants de la jeune Madeleine Brohan à la Comédie-Française. On voit par ce billet que Dumas devait alors écrire une pièce pour elle :

« Venez me voir quand vous pourrez, et commencez dès ce soir à vous

mettre à l’œuvre. Faites deux pièces, l’une pour le lundi, l’autre pour le mardi, et la Comédie-Française aura quatre succès assurés dans la

semaine : Madeleine, Dumas et Rachel. »


La collection de M. Charavay, on lee voit, est intéressante. Je ne saurais pourtant l’épuiser, et il me faut ménager la place pour les autres.

(À suivre.)

Arthur Pougin.

NOUVELLES DIVERSES


ÉTRANGER

De notre correspondant de Belgique (22 octobre) :

La Monnaie continue à déployer une activité vraiment dévorante. Pas de semaine où elle ne nous offre deux ou trois « reprises » et je dois dire que cette activité ne l’empêche pas de soigner ce qu’elle fait, à peu près irréprochablement. On ne s’aperçoit pas trop de la hâte qu’elle met à remettre sur le métier les anciens ouvrages, pendant qu’elle s’occupe, je suppose, un peu lentement, d’en préparer de nouveaux. C’est ainsi que nous avons eu cette semaine, tour à tour, la reprise de Don Pasquale, de la Nuit de Noël et d’Orphée ! L’opéra de Donizetti a valu un regain de succès à ses excellents interprètes de l’an dernier, Mme Landouzy, MM. Boyer et Gilibert. La Nuit de Noël, un gracieux ballet-divertissement, ayant pour auteur l’un des directeurs de la Monnaie, M. Oscar Stoumon, renferme une valse célèbre, dont la vogue va se renouveler, en attendant quelque partition de Delibes, de Widor ou de Lalo, qui ne serait pas non plus à dédaigner ; et quant à la reprise d’Orphée, toujours admirablement interprété par Mlle Armand, malgré sa voix malade et grâce à son beau style, nous y avons entendu une débutante, une nouvelle Eurydice, Mlle Holmstraud, qui n’a produit qu’une assez médiocre impression.

Nous avons eu, dimanche dernier, un concert donné par M. Colonne et son orchestre, terminant par Bruxelles une tournée victorieuse en Belgique, en Hollande et en Angleterre. L’exécution du programme a été merveilleuse de nuances et de sentiment. On a fait aux vaillants musiciens un petit triomphe, auquel ils ont répondu séance tenante par une Brabançonne et une Marseillaise reconnaissante ; il n’y manquait que l’Hymne russe. Un petit changement au programme, que je vous ai indiqué l’autre jour, a paru cependant assez étrange. Au dernier moment, M. Colonne a supprimé les airs de ballet du Cid, de Massenet, qui étaient annoncés, et les a remplacés par les Scènes d’enfants de Schumann. C’était détruire le caractère du concert, consacré entièrement à la musique française, et l’allonger sans raison d’une œuvre charmante, mais un peu mince et archiconnue.

— De notre correspondant de Londres (22 octobre) : Bien que contrariés par un temps déplorable, les quatre concerts Colonne n’en ont pas moins abouti à un succès complet, si bien que le retour prochain de cet orchestre à Londres vient d’être décidé. Ce sera vraisemblablement pour le mois de janvier. La réussite de la troisième séance, vendredi dernier, a failli être compromise par l’insuffisance notoire de l’artiste chargée du rôle de Dalila dans les fragments du superbe ouvrage de M. Saint-Saëns, c’était l’excellent