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LE MÉNESTREL

Il n’en restera pas moins, à l’actif de l’auteur, une tentative des plus louables tentée dans une voie nouvelle de réalisme et d’observation. Et cela est trop rare à notre époque pour qu’on n’y donne pas des encouragements.

Au Gymnase, autre chanson. M. Gandillot ne s’y préoccupe guère de théories ou de menées philosophiques. Il est tout à la joie, M. Gandillot, d’une joie échevelée au moins pendant tout un acte, le second, pour devenir plus raisonnable sans cesser d’être gai pendant les deux autres, ce qui donne à sa comédie un air de sandwich : le jambon gaillard et excitant entre deux croûtes de pain plus rassis. Oh ! cette Villa Gaby n’est pas de celles où l’on s’ennuie ! Que de personnages amusants s’y démènent dans une action pas bien neuve, mais où l’auteur met tant d’humour et parfois même de véritable observation qu’on ne saurait lui en vouloir de broder sur un thème connu.

C’est toujours l’auteur exubérant de gauloiserie, dont le sans-façon réussissait si bien dans la taverne du théâtre Déjazet, mais il a mis un habit noir et une cravate blanche pour entrer dans les salons du Gymnase. Et la tenue ne lui messied pas autrement, il faut le constater.

Et la troupe du Gymnase donne excellemment dans cette pochade mitigée de bonne comédie. C’est Boisselot, c’est Noblet, Galipaux, puis Huguenet et Numès, tous plus en verve les uns que les autres ; c’est la belle Rosa Bruck et la troublante Yahne. C’est enfin beaucoup de représentations assurées à l’heureux théâtre.

Le spectacle commençait par un délicieux petit acte de M. Fabrice Carré, le Prix de vertu, où l’esprit et l’attendrissement se mêlent agréablement et qui vaut qu’on arrive à l’heure.

H. Moreno.

L’EXPOSITION DU THÉÂTRE ET DE LA MUSIQUE
AU PALAIS DE L’INDUSTRIE

(Suite.)

Une section intéressante, mais que l’on souhaiterait volontiers plus nombreuse, est celle des affiches illustrées qui occupe la salle 29. On sait quels progrès ont été faits sous ce rapport, surtout depuis la venue du grand artiste qui a nom Chéret, dont la fantaisie charmante a renouvelé un art par lui-même plein de grâce et d’imprévu. L’affiche illustrée, toutefois, existait avant lui, et, sans remonter bien loin encore, nous en trouvons là quelques spécimens intéressants dus à ses prédécesseurs.

Quelques-une d’abord d’un crayon mâle et superbe, d’une imagination ardente, dues à ce maître dessinateur et lithographe qui s’appelait Célestin Nanteuil et qui resta le dernier et le plus puissant des illustrateurs romantiques. Ce sont celles de Lala Roukh, de Lara, de José Maria, puis celles de Zémire et Azor et de Rose et Colas, faites lors des reprises de ces deux ouvrages qui eurent lieu à l’Opéra-Comique. Une de Nadar, très drôle, pour Ba-ta-clan : une de Bertall, pour Avant la noce : une de Stop, spirituelle et fine, pour l’Oie du Caire de Mozart ; une autre, de Cham, tout à fait burlesque, pour le Myosotis ; une gracieuse, de Barbizet, pour Babiole. Toutes mignonnes et toutes petites, ces dernières. Dans des proportions plus grandes, une excellente de Victor Coindre, pour les Saisons.

Plus près de nous, nous trouvons celle d’Alphonse de Neuville pour Hamlet, d’un caractère saisissant ; celle de Clairin pour le Cid, qui est un vrai tableau plein d’ampleur ; deux autres, charmantes et de caractères tout à fait différents, de Boutet de Monvel, pour la Petite Poucette et Madame Chrysanthème ; puis, celles de Willette pour l’Enfant prodigue, de Steinlen pour Hellé, de Maurou (très intéressantes), pour Salammbo, les Troyens, la Vivandière, la Falote, l’Attaque du moulin, et deux autres, signées Pal, tout à fait charmantes, pour le cirque Molier et le Casino de Paris.

Et nous arrivons aux petits chefs-d’œuvre de Chéret : Viviane, la Farandole, la Cigale madrilène, les Deux Pigeons, la Reine Indigo, Velléda, le Trône d’Écosse, le Casino de Paris, l’Eldorado, etc. Et je ne puis manquer de signaler comme elles le méritent, celles de la Navarraise, d’Aben Hamet, de Werther, de Thaïs, combien d’autres encore ? Mais ceci tourne trop au catalogue, et je m’arrête en recommandant aux visiteurs cette salle intéressante.

Dans celle-ci nous entrons tout droit dans la salle 26, qu’on pourrait appeler le salon carré de l’Exposition, non seulement à cause de ses vastes proportions, mais surtout à cause des véritables richesses qu’elle renferme. C’est ici que nous trouvons les superbes instruments anciens des maisons Érard et Pleyel, ceux de MM. Tolbecque, Vanet, Brenot, puis les collections Charles Malherbe, Étienne Charavay, Arthur Pougin, Henri Béraldi, Yveling RamBaud, Ricordi, Arman de Caillavet, Adolfo Calzado. Perrot, B. Brunswick, Bing, Georges Pfeiffer, etc.

Ici, nous trouvons d’abord, exposées par la manufacture de Sèvres, une série d’adorables petites statuettes en biscuit, dix-huitième siècle, qui sont de vrais bijoux et dont voici la liste :

Mme du Barry en cantatrice espagnole, 1774 ;

Poisson, en Crispin, 1775 ;

Préville, en Figaro, 1775 ;

La Danseuse française, 1775 ;

Volange, dans Eustache Pointu, 1779  ;

Volange, dans Jérôme Pointu, 1779 ;

Mlle Dangeville, dans la Pèlerine, 1780  ;

Volange, en Janot, 1781 ;

Demoiselle Laforest, en Janette, 1781 ;

Mlle Contat, rôle de Thalie, 1785 ;

La belle Provençale (avec son tambourin et son flûtet), 1780.

À l’exception de celle de Mlle Contat, qui est signée Boizot, toutes ces mignonnes statuettes sont l’œuvre d’un artiste nommé Leriche.

Je m’arrête devant la très riche collection d’autographes et de documents historiques de M. Étienne Charavay, qui occupe deux énormes vitrines. Il y a là quelques jolis portraits d’artistes, des pièces administratives curieuses, de précieux documents révolutionnaires relatifs au théâtre. À signaler parmi les objets les plus importants le manuscrit du Fils de Giboyer d’Émile Augier, et un autre assurément curieux, sinon d’une grande valeur littéraire, celui d’un mélodrame dû à l’auteur de la Maison blanche et de Gustave le Mauvais Sujet, à Paul de Kock en personne : cela s’appelle Stefano ou Erreur et Mystère, mélodrame en trois aces, et il serait curieux peut-être de lire cette sombre élucubration d’un écrivain auquel on doit tant de romans joyeux et… légers. Les lettres autographes sont nombreuses et souvent fort intéressantes. Il y en a d’auteurs dramatiques : Alexandre Duval, Beaumarchais, Victor Hugo, Étienne Arago ; de comédiens et comédiennes : Préville, Larive, Quinault l’aîné, Grandmesnil, Samson, Françoise Quinault, Louise Contat, Thérèse Bourgoin, Mlle Mézaray, Mlle Mars, Rachel ; de compositeurs et virtuoses : Spontini, Herold, Rossini, Meyerbeer, Weber, Paganini, Liszt, Donizetti, Grétry, Gossec, Cherubini, Mehul… Je ne résiste pas au désir d’en transcrire quelques-unes.

D’abord, ce très curieux reçu de Gounod :

« Reçu de M. J. Meissonnier, rue Dauphine, no 22, la somme de cent francs

comme premier payement de ma valse pour le piano dédiée à François Hünten dont je lui cède la propriété entière et exclusive.

7 mars 44.

Ch. Gounod.
 »


Nous sommes loin de Faust et de Roméo et Juliette. Mais qui pourra me donner des nouvelles de la valse dédiée à François Hünten ?

C’est en cette même année 1844 que Félicien David devenait tout à coup célèbre, à la suite de l’exécution de son Désert au Conservatoire. Voici un billet qu’il adressait quelques mois après à un marchand de musique, à propos de cet ouvrage :

« Monsieur,

À mon arrivée à Aix, je lis dans le Nouvelliste que vous venez de mettre en vente la partition avec piano du Désert. Ma présence momentanée à Aix permettant à mon ami Sylvain (Saint-Étienne) d’en placer et de faire les livraisons aux souscripteurs qui les ont demandées, ayez l’extrême obligeance d’en envoyer un certain nombre d’exemplaires demain matin par la diligence de 6 heures. Comptant sur cet envoi, Sylvain vient de le faire annoncer dans le Mémorial.

Sous peu de jours je serai à Marseille, où nous terminerons nos traités relativement aux concerts que je me propose de donner.

Votre dévoué serviteur.

F. David.
Vendredi 28 mars 1845. »


Voici maintenant une lettre charmante de Boieldieu, relative à une romance qu’il s’était chargé de mettre en musique. Je ne connais pas, à l’heure présente, où tant de musicastres qui n’ont rien produit n’en sont pas moins bouffis d’orgueil, beaucoup de compositeurs capables d’écrire une lettre empreinte de tant de bonne grâce et de modestie :

« Monsieur,

J’ai reçu avec reconnaissance la petite brochure que vous m’avez envoyée, et je désire sincèrement trouver un air digne du sujet que vous avez traité avec tant de charme. Je l’ai déjà essayé, Monsieur, et je n’ai point été satisfait de mon travail, il faut qu’il soit celui de l’inspiration, et nous sommes obligés souvent de l’attendre.