Page:Le Ménestrel - 1896 - n°38.pdf/3

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
299
LE MÉNESTREL

Et le maréchal, consulté, ne peut et ne veut faire fléchir la discipline militaire en faveur de son fils. En attendant qu’on le juge, Jacques est enfermé prisonnier dans un vieux moulin d’où, à l’aide des ailes tournantes, les braves bohémiens le font évader.

Pourchassé, errant, escorté de ses loqueteux amis, le hasard lui fait apprendre que ce Garriel, cause de son malheur, est, dans les rangs français, à la solde de l’ennemi et qu’il trahit autant qu’il le peut. Grâce à l’aide de ses compagnons et au dévouement de la petite Ridza, les complots d l’infâme sont déjoués, les régiments de France et de Lorraine battent à plate couture les Impériaux dans les environs de Sondrio, et Jacques Callot, sauveur de la patrie, est pardonné par son père. Il épousera même Ridza et pourra retourner à ses chers crayons, qui en firent l’une de nos gloires nationales.

Tel est le fort, succinctement narré, ce drame nouveau que le public de la Porte-Saint-Martin a accueilli très chaudement. Se réclamant avant tout de la manière d’Alexandre Dumas père, MM. Henri Cain, Eug. et Ed. Adenis ont tenu à faire simple, vivant et amusant, et ils y ont pleinement réussi. Si, dans Jacques Callot, il y a telles scènes, comme celles de l’enrôlement et celle de la révolte de Jacques contre son supérieur, qui sont de parfait théâtre, ce qu’il faut retenir avant tout de ces cinq actes c’est la bonne humeur, la franchise, le sens du mouvement et le pittoresque avec lequel ils ont été composés. Ce sont, aujourd’hui, qualités assez rares pour qu’on y applaudisse de tout cœur quand on a la chance de les rencontrer.

De la nombreuse distribution, il faut mettre hors de page M. Coquelin, superbe de verve, de finesse et d’adresse, en un personnage épisodique dont il a su tirer un étourdissant parti. À côté de lui, on a fait fêter à M. Gauthier, plein de chaleur juvénile en Jacques Callot, et à M. Jean Coquelin, qui a délicieusement composé la figure sympathique d’un vieux précepteur. Il faut nommer encore MM. Péricaud, Segond, Prad, Mlles Dauphin, Kerwich et Miroir, et ces étonnants Price, dont l’un, M. James Price, dans un rôle d’ours d’importance et déjà populaire, est absolument étonnant de vérité.

Fort jolie mise en scène, et gros effet pour le truc original du moulin de Lugano, qu’on applaudit autant que les auteurs et les interprètes. Bref, un succès auquel contribue, pour sa petite part, la musique de M. Le Rey.

L’Opéra-Comique, en suite des dégâts causés par le cyclone de la semaine dernière, a dû rouvrir ses portes avec un jour de retard sur l’époque primitivement fixée. C’était Orphée qui faisait les frais de ce premier spectacle, donné devant une salle absolument comble qui n’a ménagé ses applaudissements ni à Mlle Delna, dont la voix merveilleuse et les accents tragiques ont soulevé tout le public, ni à l’orchestre très fin de M. Danbé. Mlle Marignan en Eurydice, Mlle Lainé en Ombre heureuse, et Mlle Tiphaine, peu à sa place, semble-t-il, sous le travesti de l’Amour, ont diversement contribué au bon ensemble de cette fort belle représentation.

Aux Variétés, reprise de la Vie parisienne. Offenbach ! Offenbach ! Et en écoutant cette musique endiablée, spirituelle, délicate, on oublie que la pièce de MM. Meilhac et Halévy date du beau temps de l’Empire, et que, dame ! elle commence à avoir les allures d’une bonne vieille dame en crinoline, et on n’a pas davantage le courage de reprocher aux interprètes femmes des Variétés de manquer de brio et de chic. Je m’en voudrais, cependant, de ne point signaler l’aimable façon dont Mlle Méaly a chanté sa tyrolienne. Les hommes demeurent plus dans le ton, surtout cet étonnant Albert Brasseur et le tonitruant M. Baron. Peut-on demander à M. Guy, qui a une très heureuse nature personnelle, pourquoi il s’est tant appliqué à si bien marcher dans les souliers de M. Dupuis ? N’empêche, on ira entendre la partition d’Offenbach, et on ne perdra certes pas sa soirée.

Paul-Émile Chevalier.

LE THÉÂTRE-LYRIQUE

informations — impressions — opinions

xiv

Nous sommes à la veille des séances du conseil municipal, où le sort du Théâtre-Lyrique va se décider. Tout ce que nous avons trouvé à dire, nous l’avons dit ici, en faveur de cette fondation, à la fois d’utilité publique et d’utilité artistique.

On ne compte plus les candidats à la direction de ce théâtre encore à naître. Il faut se placer maintenant au-dessus des personnalités que l’on désigne, si intéressantes qu’elles puissent être et que réellement elles soient, pour considérer avant tout le principe qui va présider à la création du Théâtre-Lyrique municipal. Si un vote de nos conseillers consacre l’idée de cette création, sous quelle gorme en lira-t-on le résultat dans le Bulletin officiel ? Les destinées de ce théâtre seront-elles confiées à une entreprise privée ? Sera-t-il régi pour le compte de la Ville ?

Voici la formule qui nous semble répondre le mieux aux exigences de la situation et au prudent souci de l’avenir d’une œuvre tant de fois remise en question. Ce n’est ici qu’une conception idéale. Convenablement amendée, ne pourrait-elle devenir une avantageuse réalité ? Nous donnons à grands traits, vaille que vaille, cet avant-projet, ce programme, qui aura ses contradicteurs, mais certainement aussi ses défenseurs.

fondation d’un
THÉÂTRE-LYRIQUE MUNICIPAL

Il est créé, par la Ville de Paris, un Théâtre-Lyrique municipal destiné à la vulgarisation des chefs-d’œuvre de la musique dramatique et à la production d’ouvrages nouveaux de compositeurs français.

Son répertoire se composera des œuvres anciennes tombées dans le domaine public ou qui, non représentées depuis un certain nombre d’années à l’Opéra ou à l’Opéra-Comique, seront obtenues de leurs auteurs ou des ayants droits de ces derniers.

Ce répertoire s’augmentera annuellement des œuvres nouvelles dues aux auteurs français parmi lesquels l’administration, sans esprit d’exclusion d’ailleurs, s’efforcera de mettre en valeur les compositeurs lauréats de la Ville de Paris et de l’Académie des Beaux-Arts, à qui manque communément la facilité de se produire en public, nonobstant leurs succès dans les concours et le brevet obtenu de la Ville ou de l’État.

Des auditions d’œuvres non dramatiques, avec ou sans paroles, pourront alterner ou se combiner avec les représentations consacrées à la musique dramatique. Ces auditions permettront de faire connaître au public les grandes œuvres symphoniques de l’école française et, complémentairement, des écoles étrangères.

Le Théâtre-Lyrique municipal constituera ainsi une sorte de musée musical rétrospectif pour l’enseignement général et d’exposition annuelle pour les œuvres inédites des compositeurs nationaux.

Une école professionnelle pour les choristes, fera partie des services du nouveau théâtre. L’enseignement y sera donné par des professeurs spéciaux. Des concours périodiques y auront lieu pour le recrutement des chœurs, dont le premier groupe, au moment de l’organisation des services, sera constitué également par voie de concours.

Le Théâtre-Lyrique municipal sera installé dans l’un des immeubles appartenant à la Ville de Paris.

Il ne sera accordé aucune subvention fixe pour l’exploitation de ce théâtre.

La direction en sera rattachée aux services de la Ville, section des Beaux-Arts, et une somme à déterminer sera inscrite au budget annuel, pour les frais de cette direction.

L’administration du théâtre comprendra :

1o Une direction artistique responsable. Tout le personnel professionnel du théâtre sera organisé et nommé par les soins de ce directeur.

2o Un administrateur comptable et ses agents, nommés par la Ville de Paris.

Le directeur et le comptable auront à fournir un cautionnement en rapport avec l’importance des fonds dont le maniement sera reconnu nécessaire pour le fonctionnement courant des services.

Nulle dépense ne sera engagée ni soldée sans l’autorisation et le visa du directeur responsable.

Une commission supérieure sera chargée d’examiner les propositions du directeur en vue de l’exploitation du théâtre et les opérations du comptable.

Elle pourra se subdiviser en deux sous-commissions, l’une artistique, l’autre financière, dont la réunion formera commission plénière.

La commission plénière se réunira tous les mois, du 10 au 15.

Les comptes de la gestion du théâtre, pendant le mois précédent, devront être présentés à son approbation, avec pièce à l’appui.

Les sommes provenant d’un excédent de recettes seront versées à la caisse de la Ville. À cette même caisse seront acquittées toutes les dépenses autorisées, dont l’importance atteindra un certain chiffre à déterminer.