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LE MÉNESTREL

— Le ministère des cultes et des beaux-arts, à Berlin, a accordé quelques bourses aux élèves, hommes et femmes, du Conservatoire de cette ville, pour qu’ils puissent assister aux représentations de Bayreuth. Le gouverneur d’Alsace-Lorraine a également accordé cinq bourses de 250 francs chacune pour faciliter à cinq musiciens du pays le pèlerinage de Bayreuth.

— Une aventure assez étrange est arrivée récemment à Berlin. On sait que depuis l’inauguration de la Triplice, un échange de bons procédés artistiques a lieu volontiers entre l’Allemagne et l’Italie. La première envoie peu des siens dans la seconde, mais celle-ci saisit toutes les occasions de se produire dans celles-là. Or, récemment, une bande musicale italienne en uniformes des bersagliers, dirigée par un chef nommé Manni, se faisait entendre au parc de l’Exposition de Berlin, dans un établissement qui porte le nom de Weltmusik. Pour une raison que nous ignorons, le chef Manni avait été congédié tandis que ses musiciens continuaient leurs auditions. Il arriva donc un soir que ledit Manni, flanqué d’un huissier, se présenta pour faire séquestrer les instruments et même les uniformes, déclarant qu’ils étaient la propriété d’un certain Noekel, qui l’accompagnait — pas au piano. Devant cet exploit, les bersagliers se précipitèrent comme un seul homme sur leur ancien chef dans une intention qui paraissait beaucoup plus hostile que vraiment affectueuse, le public prît parti pour lesdits bersagliers, et il en résultat une épouvantable mêlée. En présence de ce spectacle, l’huissier prit rapidement la poudre d’escampette, on appela les gendarmes, qui se trouvèrent impuissants à agir, et enfin la direction de l’établissement protesta avec vigueur contre le séquestre réclamé.

— Elle est bien informée la Gazette de Francfort ! Voici qu’elle annonce que M. Massenet est à présent à Constantinople, et qu’il y travaille à un opéra dont la reine de Roumanie a écrit le livret ! Non, bonne gazette, M. Massenet n’est pas à Constantinople. Il est beaucoup plus près que cela. Et la partition qu’il compose n’est autre que la Sapho tirée du roman de Daudet par MM. Henri Cain et Arthud Bernède.

M. Joseph Bayer vient de terminer la partition d’un nouveau ballet, intitulé la Fiancée coréenne, qui est destiné à l’Opéra impérial de Vienne.

— Johann Strauss ne chôme toujours pas. On nous écrit de Vienne que le maître travaille actuellement, dans sa villa d’Ischl, à une nouvelle opérette dont le titre n’est pas encore fixé. MM. Willner et Buchbinder lui en ont fourni le livret. Johann Strauss espère pouvoir diriger la première en octobre 1897.

— La ville de Weimar, qui abrite déjà les archives de Schiller et de Gœthe, dans un splendide hôtel construit à cet effet et récemment inauguré avec beaucoup d’éclat, ainsi que le musée Franz Liszt, va donner l’hospitalité aux archives du malheureux philosophe Nietzsche, qui a exercé tant d’influence sur les adeptes de Schopenhauer et de Richard Wagner. Les archives de Nietzsche sont actuellement entre les mains de sa sœur, Mme Foerster, qui s’est fixée à Weimar avec le docteur Kœgel, auquel elle a confié la publication des œuvres inédites de son frère.

— De notre correspondant de Genève : La dernière représentation de Werther nous a offert un début à sensation, celui de Mlle Cécile Ketten dans le rôle de Charlotte. Le tout Genève des premières s’est retrouvé au théâtre, malgré les villégiatures commencées. Mais le grand et décisif succès de la jeune artiste ne doit rien aux sympathies personnelles. Nous avons eu une Charlotte irréprochable comme voix, comme science de chant et comme jeu.

E. D.

— Au premier essai (saggio) de fin d’année du Conservatoire de Milan, on a entendu deux compositions de deux jeunes élèves de la classe du professeur Ferroni, MM. Aristide Colombo et Giuseppe Ramella. Pour le premier, c’était une ouverture qui indique de bonnes études, mais qui, paraît-il, est assez pauvre d’idées. Le second a produit une Paraphrase du psaume 117, dont on loue la clarté, l’expansion de l’idée mélodique et la forme générale, bien que la sonorité orchestrale soit parfois excessive. La dernière partie, avec l’ensemble des chœurs et de l’orchestre, a paru très heureuse.

— Petite citation du Trovatore de Milan, dédiée à ceux qui s’en vont sans cesse dénigrant le Conservatoire de Paris : « À l’Opéra de Paris vient de débuter, dans Sigurd, un nouveau ténor du nom de Gautier, élève du Conservatoire, et les journaux en disent du bien. Prière de nous dire quels sont les artistes qui sortent de nos si nombreux conservatoires et qui pourraient affronter la scène de quelqu’un de nos grands théâtres ? »

— Sous le titre de Società del Liuto il vient de se fonder à Florence un nouveau cercle artistique. S’agit-il d’une tentative de résurrection du luth, l’instrument si cher à nos pères — et à nos mères, — et dont la vogue égalait il y a deux et trois cents ans celle du théorbe et de la mandore, disparus comme lui ? Toujours est-il que le nouveau cercle doit être inauguré prochainement par un grand concert auquel prendront part M. Mascagni, Mme Gemma Bellincioni et M. Roberto Stagno. M. Mascagni a même promis d’écrire, pour cette fête inaugurale, une composition qui aura pour titre l’Apothéose du luth.

— À Bologne, dans une soirée brillante donnée par M. le commandeur Carlo Lozzi, procureur général du roi, on a représenté avec succès un opéra en un acte, Malata, dont le poème était dû à un avocat, M. Giovannini, et la musique au fils même du magistrat, le docteur Antonio Lozzi. Le piano était tenu par le compositeur en personne, le principal rôle féminin avait pour interprète l’épouse de l’auteur, Mme Giovannini-Zacchi, et les personnages masculins étaient représentés par le ténor Rossi et le baryton Buti. On a demandé le bis de l’ouvrage entier.

— Nous avons dit déjà qu’un des ministres actuels du cabinet italien, M. Gianturco, était un compositeur amateur pratiquant. Dans une soirée récemment donnée par Mme Teresina Tua, comtesse Valetta, ancien premier prix du Conservatoire de Paris, cette excellente violoniste a exécuté une sonate pour piano et violon de M. Gianturco, qui lui-même tenait avec habileté la partie de piano. Une jeune cantatrice, Mlle Maria Vittoria Calzolaio, a chanté avec beaucoup de grâce plusieurs airs anciens, accompagnée par le mari de Mme Tua, le comte Ippolito Valetta, qui est un critique musical distingué.

— La musique n’adoucit pas toujours les mœurs. Il y a un an ou deux, un certain Augusto Cremonini, marchand de musique et de pianos à Livourne, avait accompli une tentative de meurtre sur son associé, M. Vincenzo Ferrigni, avec lequel on peut croire qu’il n’était pas en accord parfait. Maintenant, ses affaires se trouvant en assez piteux état, le même individu vient, sans y réussir, de tenter de se suicider en s’ouvrant les veines des bras.

— Comme on l’avait prévu, la direction du Théâtre Royal de Madrid vient d’être confiée à M. Zozaya, celui-là même qui, l’an dernier, à la mort de M. Rodrigo, le directeur d’alors, avait pris les rênes de l’administration et terminé la saison à la satisfaction générale.

PARIS ET DÉPARTEMENTS

La commission supérieure des théâtres s’est réunie à l’Opéra, cette semaine, pour examiner la situation, au double point de vue de la sécurité du public et du personnel. L’intention de la commission serait, dit-on, d’exiger la stricte exécution des prescriptions édictées en 1888 par ordonnance préfectorale, et auxquelles on s’était dérobé jusqu’à ce jour, et les commissaires, qui étaient au nombre de vingt-cinq à trente environ, c’est-à-dire presqu’au complet, se sont livrés pendant plus de deux heures à un examen approfondi du théâtre, visitant la scène, les dépendances, les dessous, les dessus, la coupole, etc., guidé par M. Gailhard, qui les a obligeamment accompagnés partout. M. Lépine, préfet de police, président de la commission supérieure, et le colonel des sapeurs-pompiers assistaient aussi à la visite. La commission se réunira prochainement à la préfecture pour arrêter les termes de son rapport et formuler ses desiderata ; nous pouvons, d’ores et déjà, affirmer ses intentions de prescrire les améliorations suivantes et d’exiger : 1o une canalisation d’eau permettant d’inonder, en cas d’incendie, toute la scène. La Ville a amené la pression d’eau au bas de l’Opéra, il ne reste plus qu’à la distribuer. Mais on se heurte ici à une grosse difficulté : la scène est encombrée de décors. Si toutes ces toiles étaient inondées d’un seul coup, le poids énorme qui résulterait de cette imbibition — il ne serait pas moindre de cinq à six millions de kilos — ébranlerait les murs de l’édifice et ferait peut-être écrouler la coupole. On aurait l’intention de trancher la question en ne permettant e séjour sur la scène que des décors de quatre opéras ; 2o l’établissement d’un rideau de fer destiné à séparer la scène des spectateurs en cas d’incendie et à prévenir ainsi l’asphyxie par l’oxyde de carbone, ce qui s’est produit lors de l’incendie de l’Opéra-Comique ; le rideau actuel est en fer maillé, tandis que l’ordonnance exige un rideau en fer plein ; 3o une installation électrique nouvelle. Présentement, l’Opéra produit lui-même, dans les sous-sols du monument, l’électricité dont il a besoin, et il approvisionne même le Cercle militaire. Il s’ensuit que l’Opéra est soumis à une constante trépidation que l’on considère comme de nature à préjudicier au monument, notamment au grand escalier, que ces vibrations incessantes ébranlent. On désirerait donc voir disparaître l’installation présente ; 4o le déblayement des dessous. Actuellement, les dessous de l’Opéra sont encombrés par les parquets que l’on établit pour le bals. En cas d’incendie, cet amas considérable de bois très sec fournirait aux flammes un aliment qui développerait le sinistre dans de grandes proportions ; 5o une installation nouvelle du lustre. L’installation actuelle est la même que pour l’éclairage au gaz ; le lustre est mobile. Il pèse 8, 000 kilos et est supporté par six contrepoids de 1.200 kilos chacun, masse énorme qui est suspendue sur la tête des spectateurs. La commission supérieure des théâtres demandera que le lustre soit fixé au plafond, installation qui existe dans la plupart des théâtres. Enfin, la commission se serait aussi préoccupée des difficultés d’entrée et de sortie de l’amphithéâtre, dont la circulation, en cas de panique, offrirait un certain danger ; elle voudrait des portes plus larges et plus commodes. M. Eugène Deschapelles, chef du bureau des théâtres au ministère des beaux-arts, qui assistait à cette visite, a affirmé l’intention de l’administration de consacrer aux améliorations demandées les fonds de réparations disponibles, quitte à demander, en supplément, les crédits nécessaires pour compléter, s’il y avait lieu.

— En cette fin de saison M. Carvalho est, comme d’habitude, la proie des auditions d’opéras. Il a entendu l’Hôte, de MM. Michel Carré et Edmon Missa, un petit drame très saisissant, puis la Photis de MM. Louis Gallet et Édouard Audran. Il va entendre la Dalila de M. Paladilhe, les Pêcheurs de Saint-Jean de M. Widor (livret d’Henri Cain), Caprice de roi, de M. Paul Puget (livret de M. Armand Dartois), les Guelfes de Godard, le Spahi de M. Lucien Lambert, et bien d’autres encore. Que sortira-t-il de tout cela ? Voyez et choisissez, mon directeur.