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LE MÉNESTREL

teur de l’Opéra, s’engageant à relever le théâtre à ses frais tout en faisant l’abandon de la subvention.

Les projets se faisaient si nombreux, tous leurs auteurs prétendant d’ailleurs être agréés par l’administration, que le Moniteur universel, alors journal officiel, crut devoir, dans les premiers jours de février, publier la note suivante, destinée, malgré son obscurité peut-être intentionnelle, à établir la situation : — « C’est par erreur que plusieurs journaux ont annoncé que M. le conseiller d’État, président du conseil des bâtiments civils, avait présenté à M. le ministre de l’intérieur un plan pour la reconstruction du Théâtre-Italien. Aucune détermination n’a été prise encore par le gouvernement sur l’avenir de cette salle ; c’est une question qui embrasse des intérêts de diverses natures ; on ne paraît d’accord que sur un point, c’est d’élever un monument qui puisse satisfaire à toutes les convenances et être à l’abri du danger d’un nouvel incendie. »

Le même jour, d’aucuns affirmaient que Duponchel, alors directeur de l’Opéra, aurait obtenu le privilège du Théâtre-Italien et qu’il se disposait à mener de front les deux entreprises tandis que, d’autre part, un journal spécial, la France musicale, donnait comme très sérieux le projet que voici : — « M. Cambiaso, ancien directeur du théâtre de Milan, a présenté au ministère un projet pour la construction d’un nouveau théâtre, qui serait situé à la plade de la mairie du 2e arrondissement, dans la rue Grange-Batelière. L’entreprise serait montée par actions formant un capital de 10 millions, et le théâtre serait construit d’après les plans réunis des plus beaux théâtres d’Italie. Le privilège serait transmissible et accordé pour cinquante ans. Mais ce qu’il y a de plus important, c’est que M. Cambiaso ne demande pas de subvention pour l’exploitation de son privilège. »

Nous en verrons bien d’autres, et d’abord celui-ci, qui prêtait à Crosnier, directeur de l’Opéra-Comique, et à son associé Cerfberr, l’idée d’une fusion non plus de l’Opéra et du Théâtre-Italien, mais de ce dernier avec l’Opéra-Comique : — « La commission des théâtres s’est assemblée ces jours-ci au ministère de l’intérieur, sous la présidence de M. le comte de Montalivet (le ministre). La question à l’ordre du jour était, dit-on, l’examen d’une proposition faite par MM. Crosnier et Cerfberr, tendant à la reconstruction de la salle Favart, avec retour à l’État d’ici à quarante et un ans, moyennant le privilège de l’Opéra-Italien, sans subvention, pendant le même laps de temps. Tous les membres de la commission étaient présents, à l’exception de M. de Kératry, qu’une indisposition assez grave avait retenu chez lui[1].

Cependant, les choses n’avançaient pas. Plus de trois mois s’écoulent, et voici qu’un autre journal, la Gazette des Théâtres, publie sous ce titre : Reconstruction du théâtre Favart, une note ainsi conçue :

« Une grande affaire est sur le point de se terminer. Le pouvoir veut en finir, cette semaine, sur la question qui en porte plusieurs autres dans ses flancs, celle de la reconstruction de la salle Favart. Ce point décidé, on saura :

1o Ce que deviendront les Bouffes (le Théâtre-Italien) ;

2o Si l’Opéra-Comique restera où il est (à la Bourse) ;

3o Si Ventadour aura son nouveau théâtre (la Renaissance) ;

4o Et enfin quel sort est réservé à l’Odéon.

Depuis l’incendie de Favart, des idées de toutes sortes ont surgi d’une foule de têtes, plus ou moins bien organisées, pour tâcher de tirer parti du sinistre. Le temps, la réflexion et de bons conseils ont fait justice des projets les plus ébouriffants. Au fond de cet examen restent aujourd’hui trois combinaisons, entre lesquelles M. le ministre de l’intérieur a définitivement à se prononcer. La saison le presse encore plus que les solliciteurs, dont le courage s’est quelque peu refroidi en voyant que l’autorité désirait mettre, avant tout, de la sagesse dans sa décision. S’il faut réédifier la salle Favart, on n’a plus que cinq mois entre le premier coup de pioche et la représentation de réouverture. De son côté, l’Opéra-Comique est empêché par l’incertitude, dans ses idées d’amélioration de la localité où il se trouve. Du sien, le théâtre de la Renaissance poursuit sa marche ; il va mettre les ouvriers à Ventadour, et sa troupe se forme d’une heureuse conscription frappée sur la province et l’étranger. Il importe donc que tous ces intérêts soient fixés, dans le plus court délai possible, et c’est ce qu’a, le premier, compris M. le ministre, qui en fait l’objet de sa sollicitude parmi tant d’autres[2]. »


(À suivre.)

Arthur Pougin.

BULLETIN THÉÂTRAL


Porte-Saint-Martin : Reprise de l’Outrage, drame de Théodore Barrière et Édouard Plouvier.

L’Outrage n’est peut-être pas ce qu’on appelle un bon drame, mais c’est un drame dont la donnée est saisissante et dont certaines situations sont d’un intérêt palpitant. Il date aujourd’hui de près de quarante ans, puisque son apparition première remonte au 25 février 1859. Le succès alors n’en fut pas douteux, malgré la hardiesse du sujet, hardiesse qui peut sembler pâle aujourd’hui après les exploits du Théâtre-Libre et de ses congénères. Il s’agit ici d’un jeune fille, Hélène Latrade, qui est devenue folle à la suite d’un horrible attentat dont elle a été victime de la part du fils d’un magistrat, Raoul de Brives. Elle revient cependant à la raison, sinon à la mémoire, grâce aux soins et à l’amour d’un brave garçon, Jacques d’Albert, qu’elle consent à épouser. Mais voici que le soir même des noces… elle se rappelle, fond en larmes et, sur les supplications de son époux, lui fait connaître son malheur passé. Jacques se jure alors de ne pas être le mari de sa femme tant qu’il n’aura pas découvert l’infâme qui l’a déshonorée. Il serait trop long de raconter par quels moyens il finit par trouver le coupable et comment celui-ci, pour échapper au déshonneur et au châtiment qui l’attendent lui-même, se suicide devant son justicier. Le dénouement, qui était difficile à trouver, peut paraître singulier, mais le drame n’en reste pas moins puissant et émouvant en certaines parties, en dépit de quelques modifications assez fâcheuses qu’on lui a fait subir.

Il est bien joué par Mlle Lara, qui est décidément une artiste de race et qui représente la jeune Hélène de la façon la plus délicieuse, par M. Desjardins, qui a bien dessiné la physionomie indigne de Robert de Brives, et par M. Burguet, qui joue Raymond de Brives avec beaucoup de naturel. Quant à M. Philippe Garnier, il est bien inégal et parfois bien singulier dans le personnage de Jacques d’Albert, sur lequel il n’attire pas la sympathie évidemment rêvée par les auteurs.

A. P.

Mme DESBORDES-VALMORE COMÉDIENNE

Demain lundi on inaugure à Douai la statue d’un des plus admirables poètes qu’aient produits la France et le xixe siècle. Demain, la ville de Douai ne se contentera plus de la plaque commémorative qu’elle a fait pieusement placer sur la façade de la maison qui porte le no  36 de la rue de Valenciennes, où est née Mme Desbordes-Valmore, elle possèdera l’image de sa noble compatriote, la belle statue de bronze argenté due à M. Houssin, un sculpteur douaisien, qu’on a pu contempler il y a quelques semaines au dernier Salon du Champ de Mars.

Dans dix jours, le 20 juillet, il y aura cent dix ans que Marceline Desbordes naquit à Douai, et je regrette qu’on n’ait pas choisi exactement cette date pour l’inauguration du monument qui lui est consacré. Mais il n’importe, l’essentiel est que cet hommage lui soit rendu, et que rien ne manque à la gloire du poète le plus étonnamment pathétique dont notre pays puisse être fier. Aussi bien, n’est-ce point du poète que je veux parler ici. Je désire seulement profiter de la circonstance qui se présente pour dire quelques mots de Mme Desbordes-Valmore comédienne, de celle qu’en ses jeunes années on n’a pas craint de comparer à deux des plus grandes artistes de son temps, Mme Saint-Aubin et Mlle Mars, ce qui prouve le cas qu’on pouvait faire de son talent sous ce rapport.

C’est le hasard qui amena la jeune Marceline Desbordes à aborder le théâtre, alors qu’elle était à peine âgée de treize ans, et c’est à Lille, que pour la première fois, elle parut en public. Je n’ai pas ici la place nécessaire pour m’étendre sur ses débuts, et je renvoie le lecteur curieux de détails à un travail important publié par moi.

  1. Revue du Théâtre, 27 janvier 1838.
  2. Gazette des Théâtres, 13 mai 1838.