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LE MÉNESTREL

fait de bonnes études au Conservatoire et qui était fixé à Douai, sa ville natale[1].

(À suivre.)

Arthur Pougin.

SUR LE JEU DE ROBIN ET MARION

D’ADAM DE LA HALLE
(Suite.)

Le poème d’Adam de la Halle n’est donc qu’un développement scénique des chansons les plus populaires qu’il y ait jamais eu en France, puisque, vivant encore dans la mémoire du peuple, elles existaient bien antérieurement à l’époque où fut composé le Jeu de Robin et Marion. Nous avons cité surtout celles qui ont suivi ; il eût été facile de faire de même pour celles qui ont précédé : il eût suffi, pour cela, de faire des emprunts à n’importe quel livre sur la littérature française du moyen âge. M. Gaston Paris, étudiant le mouvement poétique dont Arras fut le centre au xiiie siècle, appelle Adam de la Halle « son dernier et meilleur représentant. » Et, parlant des pastourelles, il déclare tout d’abord que « leur genre est ancien. Quelques unes, ajout-t-il, généralement picardes, présentent des tableaux vifs et colorés des plaisirs et des « jeux » des villageois[2]. »

Ce n’est pas seulement le sujet qu’Adam a emprunté aux chansons : il leur a pris les noms mêmes de ses héros. Il existait, en effet, au moyen âge, tout un cycle de pastourelles dont les principaux personnages se nommaient Robin et Marion. Monmerqué, l’un des premiers éditeurs du Jeu, en a collectionné vingt-sept (plus neuf motets sur le même thème) dont il a réuni les poésies dans son avant-propos[3]. La popularité du couplet pastoral n’avait pas cessé encore au xve et au xvie siècle : le manuscrit publié par MM. G Paris et Gevaert commence par une chanson dont les premiers vers sont :

Puisque Robin j’ai à nom,
J’aimerai bien Marion.

L’exquise chanson : Petite Camusette, qu’Ockeghem et Josquin des Prés, entre autres, ont mise en parties, renferme ce vers :

Robin et Marion s’en vont au bois joli

.

Enfin Adam de la Halle a fait à la tradition populaire un emprunt plus important encore : il y a pris les chansons mêmes, paroles et musique, qi forment la partie lyrique du Jeu de Robin et Marion. Cela est admis définitivement aujourd’hui par toutes les personnes compétentes. Une telle pratique peut nous étonner, nous modernes, habitués à un tout autre mode de composition. Cependant, loin d’être exceptionnel ou anormal, l’usage d’intercaler des chansons populaires dans des œuvres littéraires (dramatiques, lyriques ou narratives) était fréquent au moyen âge. C’est ainsi que, dans le roman de Guillaume de Dole, remontant à la fin du xiie siècle, l’auteur a mis au cours du récit des chansons ou fragments de chansons de tout genre, « en quoi, ajoute M. Gaston Paris, il a été imité par les auteurs de la Violette, de la Poire, de la Panthère d’amours, du Châtelain de Couci, de Méliacin, etc. ». Le roman satirique : Renard le Noviel, composé à la fin du xiiie siècle par le Lillois Jacquemard Gelée, celui de Fauvel, du commencement du xive siècle, sont d’autres exemples du même procédé. Des chansons même, surtout des pastourelles composées par des lettres, introduisent au cours de leur développement des fragments ou refrains d’autres chansons, populaires ou non, mais antérieures et étrangères à leur propre composition[4].

  1. On lisait à ce sujet dans le Courrier des théâtres : — « L’Élève de Presbourg, que vient de donner l’Opéra-Comique, y est singulièrement arrivé. L’auteur de la musique, M. Luce, est maire de la ville de Douai. En cette qualité, quelqu’un a contracté envers lui des obligations électorales, pour des services rendus en tout bien tout honneur, mais enfin avec dévouement. Pressé de dire quel prix gracieux il attachait à cette bienveillance, M. Luce a désiré l’intervention de son obligé pour obtenir que sa musique fût exécutée à l’Opéra-Comique. Son vœu a été satisfait.
  2. Gaston Paris, la Littérature française au moyen âge, pages 178 et 184. Sur l’ancienneté des pastourelles et leur antériorité par rapport au Jeu de Robin et Marion, voyez encore : A. Jeanroy, les Origines de la poésie lyrique en France, chap. i ; — la récente édition du Jeu de Robin et Marion, par Ernest Langlois, p. 16 et suivantes ; enfin le recueil de Romances et Pastourelles des xiie et xiiie siècle publié en Allemagne par Carl Bartsch.
  3. Monmerqué et F. Michel, Théâtre français du moyen âge, pages 31 à 48.
  4. Voir à ce sujet le chapitre des Refrains dans A. Jeanroy, les Origines de la poésie lyrique, p. 102 et suiv., ainsi que mon Histoire de la chanson populaire, p. 425 et suiv.