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LE MÉNESTREL

celliste Scipion Rousselot (10 décembre), et la Mantille, paroles de Planard et Goubaux, musique du compositeur italien Luigi Bordèse (31 décembre). Le premier subit une chute complète ; le second, au contraire, obtint un assez vif succès.

C’est encore Adam, qu’on ne saurait accuser de paresse, qui ouvrait l’année 1839, comme il avait ouvert la précédente. Le 17 janvier il donnait Régine, deux actes dont Scribe lui avait fourni le livret et dont le succès, s’il ne s’est point prolongé, fut du moins très réel. On remarqua surtout dans la partition, relativement peu importante, un air de soprano charmant et plein d’élégance et un joli trio pour voix de femmes, d’un style coquet et léger. Le rôle principal de Régine était écrit pour Mme Damoreau ; mais celle-ci étant tombée malade, il fut confié à Mlle Rossi, qui s’en tira à merveille. Les autres étaient tenus par Roger, Henri, Mme Boulanger et Mlle Berthault. Régine fut suivie d’un autre ouvrage en deux actes, le Planteur, qui fut joué le 1er mars : celui-ci était de Monpou, qui venait de donner Perugina à la Renaissance et qui avait Saint-Georges pour collaborateur. Le Planteur reçut un assez bon accueil, fort bien joué qu’il était d’ailleurs par Moreau-Sainti, Grignon, Ricquier, Jenny Colon, qui venait d’épouser le flûtiste Leplus et qui prenait son nom sur l’affiche, et Mlle Berthault.

En même temps que le Planteur, on avait répété les Treize, un acte dont Halévy avait tellement fait craquer le cadre que ses auteurs, Scribe et Paul Duport, crurent devoir lui en ajouter un second, puis enfin un troisième. C’est donc en trois actes que ces Treize parurent le 15 avril, joués par Chollet, Roy, Jansenne et Jenny Colon. Le succès en fut secondaire, mais Chollet en obtint un personnel le soir de la première en venant nommer les auteurs et en annonçant que la musique était de M. Léon Halévy. La salle partit d’un éclat de rire, en le voyant confondre involontairement les deux frères et attribuer au poète l’œuvre du musicien.

Les deux grands succès de l’année furent pour deux actes charmants qui se succédèrent à quelques semaines d’intervalle : l’un, le Panier fleuri, paroles de Leuven et Brunswick musique d’Ambroise Thomas, joué le 6 mai, l’autre, Polichinelle, écrit par Montfort sur un livret de Scribe et Duveyrier, et représenté le 14 juin. Tous deux devinrent plus que centenaires. Montfort, qui avait obtenu le grand prix de Rome en 1830 comme élève de Berton et de Boieldieu, débutait ainsi de la façon la plus heureuse, et sa pièce servait aussi de début à un jeune chanteur dont la carrière devait être brillante : Ernest Mocker[1].

Un autre ouvrage en trois actes écrit par Halévy sur un poème de Scribe, le Shérif, n’obtint aucun succès le 2 septembre, bien qu’il eût pour interprètes Roger, Moreau-Sainti, Henri, Mme Damoreau et Mlle Rossi. Adam fut plus heureux en donnant quelques jours après, le 19 septembre, la Reine d’un jour, qui était aussi en trois actes et dont le livret était signé par Scribe et saint-Georges. La partition de la Reine d’un jour était une œuvre aimable, fort gracieuse, écrite avec élégance, et qui me semble mériter mieux que l’oubli complet qui a suivi sa brillante apparition. Elle servit au début, comme chanteur, d’un violoniste qui était alors chef d’orchestre aux Variétés, et qui tout d’un coup s’était découvert une voix charmante. Je veux parler de M. Masset, qui depuis lors s’est fait la grande réputation de professeur que chacun connaît.

À mentionner pour les derniers mois de cette année : le 12 octobre, la Symphonie, un acte, paroles de Saint-Georges, musique de Clapisson, qui servit au début du chanteur Marié ; le 16 novembre, les Travestissements, un acte dont Deslandes, acteur de l’Opéra-Comique, avait tiré le sujet d’une sorte de farce intitulée Frontin maître et valet, musique d’Albert Grisar, fort bien joué par Chollet et Mlle Prévost ; enfin, le 9 décembre, Eva, drame lyrique en deux actes dont le rôle principal était tenu, pour son début, par Mme Eugénie Garcia, épouse de Manuel Garcia fils et, par conséquent, nièce par alliance de la Malibran. Cette Eva n’était autre chose que l’adaptation française d’une Nina, pazza per amore qu’un compositeur italien de quatrième ordre, Coppola, avait cru devoir refaire après Paisiello, lequel s’était simplement emparé du sujet d’un petit chef-d’œuvre de d’Alayrac, Nina ou la Folle par amour, où Mme Dugazon avait fait naguère couler les larmes de tout Paris. On avait cherché un ouvrage d’un caractère dramatique, propre à faire ressortir la superbe voix de contralto et le sentiment passionné de la nouvelle cantatrice. Mais la musique de Coppola, banale au delà de toute expression, était sans valeur aucune, et quoiqu’elle eût été arrangée par Girard, alors chef d’orchestre de l’Opéra-Comique, qui y avait même ajouté deux ou trois morceaux bien écrits, quoique l’interprète principale y déployât un talent incontestable, son succès fut absolument négatif. J’oubliais de dire que le poème italien avait été lui-même arrangé et adapté par de Leuven et Brunswick. Quant à Marsollier, l’auteur du livret français original, il n’en fut pas plus question que si jamais il n’eût existé.

L’Opéra-Comique comptait dans son répertoire un chef-d’œuvre intitulé Marie. On s’en souvint, et l’on se souvint de son auteur, qui n’était autre qu’Herold, au moment de représenter un autre ouvrage sous le même titre. On changea ce titre, et cette seconde Marie fut offerte au public, le 11 février 1840, sous celui de la Fille du Régiment. Les auteurs étaient Bayard et Saint-Georges pour les paroles, Donizetti pour la musique, et le rôle principal était confié à une jeune débutante pleine d’avenir, Mlle Borghèse, qui avait pour partenaires Marié, Henri, Ricquier et l’excellente Mme Boulanger. Charles Maurice, dans son Courrier des théâtres, appréciait courageusement la partition en ces termes : — « La musique, d’une large médiocrité, a dû être arrangée par M. Donizetti à la manière des confiseurs qui prennent dans tous leurs tiroirs pour former un sac de bonbons. Il y a un peu de tout, beaucoup de bruit et très peu de bien… » On sait si, en dépit de ce jugement, la musique de la Fille du Régiment est devenue et est restée populaire. Neuf cents représentations obtenues jusqu’à ce jour n’ont pas épuisé le succès de l’ouvrage, qui, s’il manque un peu d’unité au point de vue musical, n’en est pas moins d’une inspiration généreuse et charmante[2].

Les débuts se multipliaient alors à l’Opéra-Comique, presque tous heureux d’ailleurs. Moins de deux semaines après la Fille du régiment, le 24 février, le théâtre donnait la première représentation d’un nouvel ouvrage en trois actes, Carline, paroles de Leuven et Brunswick, musique d’Ambroise Thomas, dont l’héroïne devait être personnifiée par une jeune débutante, Mlle Castellan, qui avait obtenu au Conservatoire un premier prix de chant et les deux seconds prix de vocalisation et d’opéra-comique. Puis, Mlle Castellan étant partie inopinément pour l’étranger, on confia le rôle à une autre débutante, Mme Henri Potier, jeune femme charmante et qui s’y montra tout à fait aimable. Le livret de Leuven et Brunswick mettait en scène la belle et séduisante Carline, l’ancienne soubrette de la Comédie-Italienne, dont les succès furent si éclatants et si prolongés, et qui avait épousé Nivelan, le fameux danseur de l’Opéra.

C’est une débutante encore, Mlle Darcier, la future et élégante Berthe de Simiane des Mousquetaires de la Reine, qui crée le rôle féminin d’un petit acte représenté le 24 avril sous le titre de l’Élève de Presbourg et qui offrait au public un épisode romanesque de la jeunesse d’Haydn. Le livret de cet ouvrage était signé du seul nom de Théodore Muret, bien que Vial en eût sa part, sans vouloir se faire nommer ; la musique était l’œuvre d’un amateur instruit, nommé Luce, qui avait

  1. Musicien instruit et bien doué, Montfort ne paraît pas avoir donné la mesure réelle de sa valeur. Né en 1803, il mourut le 13 février 1856, après avoir fait jouer à l’Opéra-Comique plusieurs autres ouvrages : la Jeunesse de Charles-Quint, Sainte-Cécile, la Charbonnière, l’Ombre d’Argentine et Deucalion et Pyrrha.
  2. Je remarque que le 12 février, c’est-à-dire le lendemain même de l’apparition de la Fille du Régiment, Jenny Colon quitte l’Opếra-Comique et donne sa dernière représentation.